Affaire Seznec : Le Saout ou la piste de la chaudière morlaisienne

« Le bureau bien rangé serait sans doute possible,

le symptôme d’un esprit dérangé. »

Antoine de Saint-Exupéry

Si certains ont des mauvais lundis, ce n'est pas mon cas. Je suis d'humeur plutôt joyeuse toute la sainte semaine. Et c'est donc dans cette humeur-là que j'ai entrepris de ranger mes documents Seznec.

Deux lettres se sont échappées d'un dossier. Je ne crois pas au hasard. Une correspondance bien peu amène entre deux femmes. L'une qui "avait pris ses distances avec l'affaire". L'autre qui bossait toujours pour France-Justice. L'une blonde. L'autre brune. L'une bretonne. L'autre pas.

Dans ces courriers, il était question d'un certain Yves Le Saout.

Je me suis alors souvenue qu'on m'avait envoyé copie d'un petit document de ce morlaisien Yves Le Saout. Je viens de le retrouver. Et je m'en voudrais de ne pas vous en parler. Qu'importe ce que moi j'en pense, ce qui compte c'est que tout soit dit. Car, contrairement à certains, je pense que chacun doit pouvoir s'exprimer librement. Sans être lapidé pour autant.

Ce document s'intitule "L'affaire Seznec, la réalité... des survivants racontent". Il doit comporter environ 7 pages et a été envoyé le 20 Novembre 1998 à Madame la Garde des Sceaux à PARIS. Un exemplaire en a été remis au Parquet de MORLAIX et un autre à la Bibliothèque Municipale de MORLAIX.

"L'affaire SEZNEC (ou L'Innocence d'un Coupable)

Eléments connus de la Justice (seulement ceux dont je me souviens)

Vers les mois de Mai-Juin 1923, QUEMENEUR et SEZNEC quittent MORLAIX (à bord de la voiture de Guillaume SEZNEC) pour PARIS où ils doivent traiter une affaire (trafic de voitures américaines).

A HOUDAN, la voiture tombe en panne et QUEMENEUR prend le train pour se rendre seul à PARIS tandis que SEZNEC décide de rentrer à Morlaix après avoir fait réparer la voiture, le trajet étant effectué d'une seule traite avec un seul arrêt en cours de route pour se ravitailler en essence.

La famille de QUEMENEUR s'inquiète de sa disparition et la Police commence son enquête qui aboutit à l'arrestation et l'inculpation de SEZNEC.

A charge de ce dernier :

- l'absence de cric (oublié sur la route ?) mais cet élément est abandonné par l'Accusation.

- la voiture ne pouvait faire 70 kms pour aller à PARIS mais elle a pu, après une réparation sommaire, faire 500 kms pour rentrer à MORLAIX en roulant avec un pneu crevé.

- lors du ravitaillement chez un mécanicien de campagne, comme il failait un entonnoir pour faire le plein du réservoir, ledit mécanicien, en se dirigeant vers l'arrière de la voiture, dit à SEZNEC : je pense que vous avez un entonnoir à l'arrière ? Mais SEZNEC se précipite en lui disant : non, non, je n'en ai pas, mais l'intéressé avait eu le temps d'apercevoir sur la banquette arrière un ballot de forme allongée masqué par une couverture.

- dans une valise retrouvée je crois à la Gare du HAVRE, on a découvert une Promesse de vente (à lépoque on disait un Acte de vente) de la propriété de PLOURIVO appartenant à QUEMENEUR, au profit de Guillaume SEZNEC.

- cette Promesse de vente était rédigée sur une feuille de papier timbré achetée chez le Buraliste RAMS rue de Brest à MORLAIX et tapée avec une machine à écrire retrouvée dans le grenier de la Scierie de SEZNEC.

- le pardessus de SEZNEC, tâché de sang, découvert dans le lit de la bonne Angèle LABIGOU et placé là soi-disant pour allonger le matelas.

Il existe d'autres éléments que j'ai oubliés.

Eléments ignorés de la Justice mais connus de beaucoup de Morlaisiens

- un matin, à l'arrivée des ouvriers sur le chantier, SEZNEC leur dit : Allez, tout le monde au bois aujourd'hui (pour abattre des arbres ou en ramener à la scierie) alors qu'en général il restait toujours une équipe sur le chantier. Un ouvrier, Jean-Marie CISSOU (ou CESSOU) déclare à SEZNEC : Ecoutez, Patron, maintenant je suis trop vieux pour aller comme ça au Bois et SEZNEC lui répond : Bon, alors toi tu restes là mais tous les autres s'en vont.

- cet ouvrier racontait ensuite : c'est tout de même curieux, la chaudière (c'est ainsi que l'on appelait la locomobile qui servait au fonctionnement de la scie) il n'y a pas eu de feu dedans depuis 8 jours et ce matin elle était encore chaude ! et il avait ajouté avoir vu SEZNEC, les manches de chemise relevées, vider la chaudière, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant.

- des ouvriers, qui prenaient leur repas de Midi dans les cafés des environs disaient un jour : le Patron avait la réputation d'être toujours fauché mais ce matin il avait son portefeuille plein de billets (leun ar vilhejoù, en breton).

- mon père était Receveur d'Octroi et nous demeurions à Traon-ar-Velin dans la maison située à l'embranchement des routes de BREST et de CARHAIX et un jour Madame FAUDET, dont la maison jouxtait la Scierie, lui dit : mon fils Jules a été réveillé cette nuit en sursaut (la fenêtre de sa chambre donnait sur la scierie) par une "grande lueur" venant de la scierie et j'ai eu beaucoup de mal à le consoler, tellement il était effrayé.

- Madame LANC, qui tenait un débit de boissons à proximité, sort un jour de chez elle pour demander à une petite vieille demeurant tout à côté : mais qu'est-ce que vous brûlez ainsi dans votre fourneau, qui sent si mauvais ? Moi, répond cette personne, mais il n'y a pas de feu chez moi !

Tous ces faits sont survenus avant que l'affaire n'éclate au grand jour et, après, comme la Police n'a interrogé personne, tout le monde s'est tu.

Enfin, vers les mois de Juillet-Août de cette année, j'ai appris une chose que j'avais toujours ignorée :

- à une dame de mon âge Madame POSTIC, née Yvonne LE NEN, que j'ai toujours connue mais avec laquelle je n'avais jamais parlé de l'affaire, je lui posais une question : crois-tu que SEZNEC était coupable ? Réponse spontanée : oh oui alors, QUEMENEUR a fini dans la chaudière ! ajoutant : je vais te dire quelque chose : quand j'étais fillette, je m'amusais souvent avec Jeanne SEZNEC et un jour que nous étions dans la voiture de son père, ce dernier est venu nous trouver (il était furieux) en disant : que faites-vous là, allez jouer ailleurs. En sortant de la voiture je lui ai dit en lui montrant du doigt un endroit à l'intérieur  il y a du sang là, et SEZNEC de répondre : oui je sais, je me suis coupé, mais ce n'est rien. Allez jouer ailleurs.

Fait à MORLAIX, le 2 Novembre 1997

Addenda

- Ma Grand-mère paternelle, qui avait 73 ans en 1924, se promenait souvent à Saint-Augustin où elle bavardait avec la mère de Guillaume SEZNEC et, je pense après la condamnation, elle se crut obligée de lui dire : C'est tout de même malheureux ce qui arrive à votre fils et elle a obtenu la réponse suivante : Il faut expier !

- Monsier LE BRAS Jean-Baptiste, décédé il y a 2 ou 3 ans, jeune ouvrier dans un Garage de la rue de Brest m'a raconté que SEZNEC avait apporté à réparer une roue de voiture en très mauvais état.

- Un de mes oncles, Monsieur Jean POULIQUEN, demeurant à Traon ar Velin, avait garé dans sa cour pendant quelques jours une voiture américaine couverte de boue apportée pour SEZNEC par des soldats américains.

- Un journaliste du Télégramme a effectué une enquête à PLOUARET vers les années 1950/1960 je crois et avait questionné un cultivateur qui lui avait déclaré avoir remarqué en 1923 dans une entrée de champ une voiture comme celle de SEZNEC restée à cet endroit 2 ou 3 jours et qu'elle avait disparu sans qu'il ait aperçu qui que ce soit autour."

Je vous épargne la suite qui concerne l'affaire dans ses grandes lignes et plus du tout la chaudière.

Attention ! Ceci n'est pas un scoop. Bernez Rouz en parle dans son ouvrage en pages 154/155.

Mais parce qu'il était grand temps de revenir à Guillaume Seznec...  Voilà qui est fait !

Liliane Langellier