Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?
Avant-propos
Il était une fois………….
Oui, « il était une fois », car ce qui va suivre est peut-être un conte. Les faits que j’ai vécus, je peux m’en porter garante, ceux qui m’ont été racontés, je ne peux que tenter de les restituer avec le maximum d’exactitude dans les mots. Leur vérité appartient à ceux qui me les ont confiés.
Il était donc une fois une journaliste parisienne qui se trouva deux bonnes raisons pour fuir la capitale. La première : se sortir en quatrième vitesse d’une histoire destructrice, histoire qui risquait de la conduire tout de go dans une jolie clinique de Rueil-Malmaison avec du lierre sur le mur et une longue suite de perfusions pour dormir. Ce qui n’a jamais guéri personne. La seconde : tenter de regrouper ses lieux de vie et cesser de parcourir en aller-retour incessants la Nationale 12 car l’hôpital de Dreux venait encore d’appeler pour un géniteur en réanimation.
Quand on a très mal. Et elle avait très mal. On se réfugie dans les meilleurs moments de son enfance. Ce fut facile. Il n’y avait guère grand choix. Le village de ses grands-parents en Eure-et-Loir serait le nouveau port d’attache. Marcher dans les sentiers entre les blés lui permettrait d’évacuer son trop plein d’âme. Et de retrouver un nouveau souffle. Respirer le bon air de la pinède de ses jeux de garçon manqué lui donnerait un second souffle : « Pour le reste, je gèrerai sur place » avait-elle décidé.
La maison était grande et fraîche. Elle pourrait installer un bureau. Etre là sans « être obligée de ». La décision fut prise en un week-end. Ce qui lui valut un retentissant « Vous êtes folle » et une réponse montée au filet : « C’est justement pour ne pas le devenir que je largue les amarres ! »
Au village, son nouveau statut ne figurait dans aucune convention collective : « Petite fille du Père Courtois ». Mais quel sésame ! Niché dans la vallée de l’Eure, ce petit coin de terre était depuis toujours à majorité communiste. Et justement, le grand-père avait fondé les premières cellules locales quand il ne vendait pas « L’Humanité » ou ne collait pas, à plus de 80 printemps des affiches électorales pour son cher parti. La grand-mère était, elle, d’une famille pratiquante. Mais elle avait jeté aux orties son cordon d’enfant de Marie après le fabuleux séjour de l’année 1924 dans la toute nouvelle Russie. Où elle avait rejoint son mari, parti un an plus tôt dans le cadre du « Trust », offrir son savoir-faire d’ingénieur en électricité à une usine de Petrograd.
Depuis toujours, le curé venait déjeuner une fois la semaine à « La Louise ». Et les dialogues n’avaient rien à envier au « Petit Monde de don Camillo ». Son père, imprimeur, était un gaulliste de la première heure. Il lui fut donc facile de comprendre rapidement, au milieu des cris et des palabres, que le monde ne se résumait pas à une seule opinion.
Elle avait gardé ses amis d’enfance. S’était mariée en longue robe blanche dans la petite église et avait porté le voile de deuil, dans la même église, avec les mêmes prêtres, quinze années plus tard. Tout le monde l’avait connue môme. Et le village s’était réjoui et avait pleuré avec elle. Elle était des leurs. Elle était crédible.
Il y a toujours un moment déclenchant. Ce fut justement cette fin d’été 1992, alors qu’elle remontait du bas du village. Après avoir trinqué à la gnôle avec Pierre et Paul. Deux sacrés gais lurons. Que leur 70 printemps n’empêchaient pas de jouir de la vie. On avait encore évoqué « l’affaire Quemin/Quemeneur ». Pierre en parlait à voix basse. Depuis toujours. « La mère n’aurait jamais voulu que l’on élève la voix sur ce sujet » ajoutait-il en manière d’excuses. Une sombre histoire de maquignons. De toucheux de bœufs. De corps qui disparaît. De silence imposé. De chuchotements entre deux portes.
« Toi qui écris, pourquoi tu le dis pas dans le journal ? » restait la phrase récurrente qui clôturait les discussions.
La journaliste avait un père. Et pas n’importe lequel. Un vif. Un malin. Un intelligent. Un bourré d’humour et de charme. Sur lequel les femmes se retournaient encore. Subjuguées par l’éclat de ses yeux bleus, sa voix douce et ses longues mains. Mais avec elle, c’était une autre histoire. Un autre genre de compétition. Aussi ce jour-là, à la question : « De quoi avez-vous discuté avec les deux zoziaux ? » Elle répondit négligemment : « Quemin/Quemeneur ». Et le soufflet verbal tomba : « Tu ne peux pas dire l’affaire Seznec. C’est bien la peine d’avoir suivi toutes ces études et d’être restée dix ans dans un grand hebdomadaire pour ne pas connaître l’affaire Seznec ! »
Mais si, elle connaissait…….
Mais ils lui parlaient de Quemin/Quemeneur, pas de Seznec.
« Ma pauvre fille, Quemeneur, c’est justement le conseiller général disparu et c’est justement Seznec qui a payé. Pour que les grossiums ne soient pas impliqués. C’est comme ça la vie, on fait tomber un petit et les gros continuent de festoyer. Réveille-toi un peu ! »
Le réveil fut brutal. Et prit même quelques jours. Ce fut ce moment précis que choisit la maison de la presse nogentaise pour mettre en vitrine le livre du petit-fils Seznec. Début d’automne 1992. Elle l’offrit à son père.
Le livre était posé sur le bras d’un fauteuil dans le grand salon. Elle le prit en mains et le retourna. Vit la photo du petit-fils en quatrième de couverture. Et se dit : « Je fonce ».
Minitel. Adresse. Téléphone. Accueil chaleureux : « C’est étonnant que vous m’appeliez maintenant car je m’en veux de ne pas avoir parlé de la piste de Lormaye dans cette première édition. » Elle déclina son pedigree. Et il lui dit « Banco pour l’enquête. Tenez-moi très au courant. Juste une demande incontournable, pouvez-vous commencer par interviewer une ancienne institutrice, Madame Madeleine Femeau qui m’a si souvent écrit ? »
« Il faut bien un commencement », répondit-elle.
Et c’est ainsi que tout commença…………..