3 Avril 2012
"Tu es Pierre, et sur cette pierre...."
Il était comment Pierre Quemeneur de son vivant ? Ce n'est pas une question anodine.
Parce qu’ici, à Lormaye, c’est d'un squelette dont on parle toujours. Et que l’on recherche. On le suppose même enterré dans trois endroits différents. Les trois lieux Quemin.
Je me sens donc obligée de renseigner mes lecteurs du mieux de mes connaissances.
Déjà, dites-vous bien, qu’il n’existe qu’une photo officielle de lui. Celle là :
Sa sœur le décrit comme faisant 1 m 60 environ pour 58 kilos. Il a, sur cette photo, le physique d’un jouisseur. Et n’est pas sans me faire penser au personnage de Dutertre, délégué cantonal, médecin des enfants de l’hospice, décrit sans pitié mais avec une telle réalité par Colette dans son « Claudine à l’école ».
Mais avant d’être adulte, qui était-il exactement ? Avait-il une famille ? A-t-il eu une descendance (on va être malins si on trouve un squelette pour la recherche de l’ADN !)
Pierre Quéméner (au début son nom s’orthographiait ainsi) n’est pas d'une origine sociale plus élevée que Guillaume Seznec. « Pierre est le cinquième de la lignée » nous écrit Bernez Rouz en page 16. D’un premier mariage, son père, Yves-Mathieu a trois enfants. Après la mort de sa première femme, de sa seconde union, vont naître dix enfants.
Lapalisse vous informe donc que Pierre Quemeneur avait 12 frères et sœurs. Important. Car cela discrédite immédiatement l’idée obsessionnelle de Denis Seznec. Selon laquelle, Jean Pouliquen, le maudit notaire, et époux de la soeur Marianne Rose Laurence Quéméner, serait le seul héritier. Les bons comptes font les mauvais amis !
Pierre est né le 19 août 1877 à Commana.
Il va rester en relations proches avec deux de ses sœurs. Jenny, née en 1883. Qui sera son bon ange et sa gouvernante. Marianne Rose Laurence, née en 1886, qui épousera Jean Pouliquen le 20 janvier 1920.
Et de son frère Louis, né en 1884.
Seuls ces trois-là seront évoqués dans l’affaire Seznec. Ce qui simplifie, dira-t-on.
La ferme familiale est vendue à la mort du père en 1903.
Pierre a alors 26 ans. Il s’installe à Morlaix. Puis ouvre un débit de boisson à Saint-Sauveur. « Et très vite devient marchand de vin et de bois » (Bernez Rouz, page 17)
Saint-Sauveur, le café de Pierre Quemeneur
C’est un profiteur de guerre. Ne mollissons pas sur les mots. Il va fournir au Génie français puis aux Américains de Brest, du bois. Nécessaire pour consolider les tranchées d’une part. Et pour construire le camp de Pontanezen (Brest) d’autre part.
Certains pourraient oser le qualifier de « planqué ». C’est sûr qu’il n’a pas essuyé le feu de l’ennemi. Il s’est contenté de remplir ses poches. Et de bien les remplir.
Métier qu’il continuera sur une toute autre échelle après Guerre. Puisqu’il aura recours à des courtiers. Et à des bateaux. Pour commercer avec le Pays de Galles (entre autres).
En 1919, il fait construire une superbe demeure bourgeoise à Landerneau : Ker Abri. Où il installe ses bureaux. Et où on le trouvera habitant avec sa sœur Jenny lors des évènements Seznec. Demeure qui sera évalué à 100.000 francs lors du bilan du 29 décembre 1923 (si on reste sur la base 1 franc 1923 = 1 euro actuel, je vous laisse faire le compte !).
Landerneau, Ker Abri
Le 17 avril 1920, il achète, pour la somme de 25.000 francs, Traou Nez en Plourivo, situé sur les rives du Trieux. Dans les Côtes d’Armor. 90 hectares de bois autour d'un manoir. Cette propriété l’intéresse surtout pour le massif forestier au sein duquel elle est située. Il va d’ailleurs en confier la gestion à son frère Louis. Propriété qui sera évaluée à 140.000 francs lors du bilan du 29 décembre 1923 (Bernez Rouz en page 22)
Traou Nez en Plourivo
Résumons. Nous connaissons un peu mieux sa famille. Un peu mieux ses richesses. Mais sa carrière politique ?
Je me fie encore à l’ami Rouz. Il est d’abord élu, le 10 mai 1908, conseiller municipal de Saint-Sauveur. Normal, me direz-vous pour un bistrotier. Réélu en mai 1912, il devient maire par délégation pour remplacer Keryel qui a été mobilisé au Front.
Il n’est pas du genre à perdre du temps. Aussi le 21 décembre 1919 le voilà élu conseiller général du canton de Sizun. En tant que « républicain modéré » à une époque où les étiquettes politiques valsaient aussi vite que les ministères.
Il est donc paradoxalement un riche conseiller général du Finistère, mais avec une trésorerie qui bat de l'aile (compte bancaire débiteur). Il mène une vie secrètement solitaire tout en étant familialement très entouré de sa sœur Jenny, de son frère Louis, de son beau-frère et notaire Jean Pouliquen (époux de Marianne qu’il a aidé à s’établir comme notaire à Pont-l’Abbé). Tel est donc l'homme qui prend la route Rennes /Paris le vendredi 25 mai 1923, avec son camarade Guillaume Seznec, dès potron-minet.
Côté pratique. Nul ne doute qu’il fut bien habillé. Jenny le confirme d’ailleurs à la Police. Mais le plus intéressant c’est encore Bernez Rouz qui nous le souligne dans son introduction. Et là, je recopie mot à mot, la déclaration en page 8, du dentiste Raoul Coquelin : « A la mâchoire inférieure, il possédait encore cinq dents naturelles à droite, les deux incisives à gauche, l’incisive médiane, la canine et la deuxième prémolaire, ces cinq dents furent recouvertes d’or par moi, les trois incisives étant soudées ensemble. »
Quelle importance que sa dentition ?
Ce n’est pas pensée morbide que de savoir que c’est bien la dentition qui permet d’attribuer une identité à un squelette. Alors quand en plus, il y a des dents en or... Vive la poêle à frire et ses amateurs !
Liliane Langellier
P.S. Lors de la disparition de Pierre Quemeneur, il reste 7 héritiers (jugement déclaratif de décès du tribunal civil de Brest du 8 avril 1925) :
- Louis Quéméner, négociant en bois, demeurant à Landerneau
- Mlle Jeanne Quéméneur, célibataire majeure, demeurant à Landerneau
- Marianne Marie Yvonne Quéméner, épouse de François Péron à Guiclan
- Madame Philomène Quéméner, épouse de Yves Péron à Guiclan
- Mr Henri Quéméner, religieux à la Trappe de Timadeuc
- Mr Yves Quéméner demeurant à Paris
- Madame Marie Anne Quéméner épouse Pouliquen à Pont l'Abbé.
P.S.2 Je vous déconseille vivement de lire "Pierre Quemeneur" sur Wikipedia. Un portrait farci d'inexactitudes. Et conçu uniquement dans le but de plaider la cause de Guillaume Seznec.