Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : la piste de Lormaye : la première interview

 

                                                                                              

 

 

 

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Le premier pas, mon fils, que l'on fait dans le monde,

Est celui dont dépend le reste de nos jours."

Voltaire

 

 

 

 

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Interview téléphonique Madame Fémeau (Grenoble)

Mercredi 7 octobre 1992 – 13 heures

 

(Madeleine Fémeau,née Mesnil, a été élevée à Lormaye. Puis a enseigné, comme institutrice à Saint-Georges-sur-Eure)

 

Liliane Langellier (L.L.) : C’est Monsieur Denis Le Her-Seznec qui m’a donné vos coordonnées…

Madame Fémeau (Mme F.) : Oui, je l’ai vu, il y a quelques temps, à Paris.

L.L. : Je vous explique… J’ai appelé hier Denis Le Her-Seznec. J’habite Chaudon. Je suppose que vous savez où est Chaudon ?

Mme F. : Oui, j’ai habité Villemeux, avant d’habiter Lormaye.

L.L. : Je suis journaliste de mon état, et j’habite donc Chaudon. Depuis peu dans notre maison familiale. J’ai travaillé pour L’Express. Et les anciens du village m’ont parlé du crime de Quemeneur, et leur version, qu’ils me confient volontiers, puisque mon grand-père était un homme respecté – donc on me parle plus facilement – beaucoup m’ont parlé de la version de Quemin. Donc, c’est l’objet de mon appel.

Mme F. : C’est connu dans le coin.

L.L. : Ce que j’ai demandé hier à Denis – j’étais vierge parce que je n’avais pas lu son  livre. Ma question hier à Denis était la suivante : « Est-ce que vous avez oui ou non parlé de l’hypothèse de Quemin dans le livre ? » Et Denis me dit non. Je lui dis, « Ecoutez, moi, j’ai l’impression de détenir quelque chose, chaque fois que je passe à Lormaye devant la ferme des Quemin pour aller prendre mon train à Maintenon pour Paris, je me dis, je n’ai pas été honnête, je sais comme je n’avais pas la piste de la famille, c’était un peu difficile. Et là, je me suis dit bon, en ayant vu le nom de l’auteur, je l’ai retrouvé… Et je me suis dit je vais lui en parler ». Il m’a dit « Ecoutez, Madame, c’est drôle que vous m’appeliez, parce que moi aussi je me sens un peu coupable, beaucoup de gens m’ont parlé de cette piste et je trouve que je l’ai négligée… »

Mme F. : Je suis en train de lire son livre…

L.L. : Ah ! Vous aussi. Mais Mme Fémeau, qu’est-ce que vous pouvez me dire VOUS. Parce qu’il y a des gens qui m’ont parlé, qui m’ont dit des choses. Mais VOUS, vous êtes allée voir Denis. C’est lui qui m’a donné vos coordonnées.

Mme F. : Oui, je comprends bien. Vous savez, de « L’Affaire, moi, j’étais évidemment très jeune quand ça s’est produit à Lormaye. J’étais toute gamine, mais dans ma famille, on a parlé beaucoup de cette affaire. Parce qu’il y aurait eu de toutes façons, dans la nuit de la disparition de Quemeneur, il y a eu un crime qui s’est produit à Lormaye, ça c’est certain.

Il y a eu deux témoins.

L’un chez le fils Quemin. Parce qu’ils étaient deux, hein, les Quemin, le père et le fils. Le père habitait Lormaye sur la route de Coulombs, et le fils à Chandres, sur la route de Maintenon.

Alors, dans la ferme du fils, un ouvrier agricole avait entendu une voiture arriver dans la nuit. Il a entendu une discussion. Il a entendu un coup de feu. C’est tout.

D’autre part, dans la même nuit, chez le père Quemin, c’est-à-dire entre Coulombs et Lormaye, on a jeté dans la nuit un corps par-dessus le grillage de la propriété de Quemin père. C’est un autre témoin qui l’a vu, quelqu’un de très honorable. Qu’on fait passer pour quelqu’un qui aimait bien boire, alors que s’il y avait quelqu’un de sobre…

L.L. : Est-ce que c’est Monsieur Viet ?

Mme F. : Monsieur Viet, c’est ça.

L.L. : Il y a un Viet, ici à Chaudon. Est-ce quelq’un de la famille. Un Gilles Viet…

Mme F. : Alors, écoutez, ça je ne peux pas vous dire, c’était Georges Viet, il a été tué en 44 par une bombe à Lormaye.

L.L. : Ce n’était pas quelqu’un qui avait des hallucinations ?

Mme F. : Oh non pas du tout. Autrefois je l’ai bien entendu car ce Monsieur Viet habitait près de chez mon oncle et ma tante, et combien de fois il a évoqué ses souvenirs, ce qu’il avait vu dans la nuit. D’ailleurs je l’ai écrit à Denis Seznec.

L.L. : C’est pour cela que Denis m’a dit : « Vous appelez d’abord Madame Fémeau… » Donc, vous, vous avez entendu…

Mme F. : Je l’ai entendu raconter par Monsieur Viet, de sa bouche même.

L.L. : Qu’est-ce qu’il a vu ?

Mme F. : Toutes les semaines, il allait dîner chez sa nièce à Coulombs. Et il revenait sur Lormaye où il habitait. Et en passant sur un pont, sur sa gauche, il a aperçu de la maison Quemin qu’on hissait un corps qui est tombé dans ce qu’on appelait la rivière d’Auge. Ce n’était pas une vraie rivière, c’était plutôt un canal…

L.L. : Qu’est-ce que c’est que la rivière d’Auge parce que je n’ai pas trouvé son nom sur ma carte de l’IGN ici… Elle est où cette petite rivière, parce que je connais le Roulebois…

Mme F. : Le Roulebois, c’est plus loin. La rivière d’Auge, c’est entre Coulombs et Lormaye. Si vous avez l’occasion d’y aller. Seulement ça n’est pas une vraie rivière, c’était un canal qui a été creusé, je ne sais plus sous quel roi, enfin c’était pour éviter des inondations, ou une histoire comme ça. Mais c’était plutôt un fossé herbeux. C’était plein d’herbes, alors, de temps en temps il y avait de l’eau l’hiver, vous savez, quand il y avait beaucoup plu.

Or, Monsieur Viet, dans la nuit, en passant en bicyclette sur le pont a vu ce corps hissé tomber. Il a entendu un bruit mat. Il est rentré chez lui. Il s’est rendu compte d’ailleurs, au bout de quelque temps, qu’il était suivi, mais on ne l’a pas rattrapé. Celui qui avait jeté le corps avait dû voir la lanterne de son vélo et a voulu voir qui l’avait vu… Mais il a eu le temps de rentrer chez lui. Et le lendemain, il s’est dit, il faut que j’en ai le cœur net. Alors, il est allé voir, il est retourné sur le pont. Et puis il a vu dans la rivière d’Auge, dans ce fossé, un épouvantail à moineaux….

L.L. : Il y avait eu substitution ?

Mme F. : Bon. Alors, de toutes façons, on ne jette pas un épouvantail à moineaux…

L.L. : C’est exactement ce que j’ai dit à Denis qui m’avait donné cette version un peu édulcorée. J’ai dit : « Ici, on ne jette pas. D’abord on ne jette pas dans la Beauce. (rires)

Mme F. : Dans la nuit, à fin mai, un épouvantail à moineaux qui pourrait servir quelques temps après… Dans une rivière…

L.L. : Non, ce n’est pas un rite culturel beauceron (rires).

 

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Mme F. : Alors, il a trouvé ça. Il s’est dit « Je n’ai pas eu la berlue, ce n’était pas ça ». Puis de toutes façons un épouvantail à moineaux n’aurait pas fait un bruit mat en tombant. Alors il est descendu, parce qu’on pouvait du pont descendre, et sous le pont même, il a vu un carré de terre fraîchement remué. Ça avait dû être fait dans la nuit. Il est rentré chez lui. Ça le travaillait, mais il s’est dit… Les Quemin étaient très connus comme des violents…

L.L. : Des j’teux d’sort, on dit chez moi.

Mme F. : Des violents. Et en plus ils étaient des indicateurs de police.

L.L. : Alors ça, je ne le savais pas. Aussi bien le père que le fils ?

Mme F. : Bien évidemment. Ils n’avaient pas une carte qu’on pouvait connaître. Ils ne se présentaient pas avec une carte indiquant qu’ils étaient indicateurs de police. Mais tout le monde le savait et de toutes façons, ils étaient toujours protégés. Chaque fois qu’il y avait eu quelque chose, même de grave, à leur encontre, il n’y avait pas de suite. Pour vous donner un exemple, le fils Quemin a, un jour, planté un couteau dans le dos de l’un de ses ouvriers agricoles. Il y a eu une dispute, ou je ne sais quoi. Le dit ouvrier a été transporté à l’hôpital de Chartres, enfin il a été sauvé, il avait quand même été sérieusement blessé. Et bien il n’y a pas eu de suite…

Le père… a plusieurs fois volé des gens, on le savait. Une pauvre femme, une cultivatrice à qui il a pris une vache. Il est allé pour la chercher puis il est parti sans la payer. Alors, elle criait : « Mes sous, mes sous, …. » Alors, lui, disait : « Cette vieille folle, elle dit que je l’ai pas payée… » Tout le monde en était persuadé, mais personne n’osait dire quelque chose à Monsieur Quemin.

L.L. : Il avait aussi deux filles, non ?

Mme F. : Alors, le fils Quemin avait deux filles. J’ai été en pension avec ces deux filles qui vivaient dans la terreur de leur père. Moi, je sais que j’étais pensionnaire à Maintenon et que je n’étais pas particulièrement heureuse d’être pensionnaire, mais, elles, elles étaient contentes. Quand elles sont arrivées là, elles vivaient tellement dans la terreur de leur père…

L.L. : Donc, ce Monsieur Viet voit la terre fraîchement remuée, ça le perturbe, et qu’est-ce qu’il fait alors ?

Mme F. : Il n’a rien fait tout de suite. Il s’est dit, je vais attendre une…Parce que, vous savez, dans le pays, tout le monde se méfiait un peu des Quemin….

L.L. : Oh, ça, je sais,je sais, on s’en méfie encore, si longtemps après….

Mme F. : Alors, il n’a rien fait. Il s’est dit, je vais attendre une disparition. Qu’on signale une disparition dans la région. Dans le village. Puis aucune disparition signalée. Alors, il avait toujours cette idée là en tête qui le poursuivait. Il en avait parlé chez mon oncle. Il en avait parlé à d’autres amis, des gens qu’il connaissait bien. Alors, quelque temps après, alors ça, je ne m’en souvenais pas du tout, c’est un des mes cousins….  Dans ma famille, on en a parlé longtemps, d’autant plus que j’avais un oncle qui était président de la Ligue des Droits de l’Homme. Et quand il venait à Lormaye, on parlait toujours de « L’Affaire » avec mon oncle de Lormaye, alors, qui était le voisin de Viet.

Alors quelques temps après, et ça je l’avais complètement oublié, j’ai reparlé de ça, il y a une dizaine d’années avec mon cousin – qui est décédé maintenant – il m’a dit : « Je me souviens très bien d’une chose, il n’avait rien dit, car aucun cas de disparition ne s’était signalé, mais un jour, il a trouvé sous sa porte, un journal local, je ne sais plus lequel, avec des petites annonces.. Et quelqu’un avait mis dans les petites annonces… Il a été attiré du côté des petites annonces parce qu’il y avait un coup de crayon rouge pour attirer son attention…. Et notait : Monsieur Viet pourra-t-il dire quand il a vu Monsieur Quemeneur pour la dernière fois ?

Alors, il s’est dit, mais en effet, c’était cette nuit-là qu’il y avait eu la disparition. Il en avait entendu parler dans les journaux, mais c’était quelque temps après.

On lui a dit après : mais vous être sûr que c’était cette nuit-là. Il a dit, bien sûr, puisque c’était ce jour-là qu’il allait chaque semaine chez sa nièce.

L.L. : Il avait un repère très important…

Mme F. : C’est cela, il avait ce repère. Il disait je ne peux pas me tromper de date. Je ne peux plus vous retrouver la date… Mais il allait ce jour-là cheque semaine chez sa nièce et retrait après dîner, minuit ou quelque, je ne sais pas. Alors, là il est donc allé faire sa déposition à la gendarmerie. Sur ce, comme l’autre ouvrier agricole… Oui, on a décidé, peut-être pas tout de suite, je ne sais pas, en touts les cas, le temps que tout se mette en marche, on a fait une reconstitution du crime, je ne sais pas comme dire, moi, une reconstitution de la nuit.

Premièrement, c’est Bonny qui a été charge de la reconstitution.

L.L. : Oh, il était pas très clair, ce Bonny-là. IL n’a pas été gestapiste à un moment ?

Mme F. : Il a été fusillé à la Libération. Et avant de mourir, il a dit que ce qu’il regrettait le plus c’est d’avoir envoyé au bagne un innocent.

L.L. : Ah quand même. Mais ce n’était pas un Bonny très clair, c’est bien ce qu’il me semblait.

Mme F. :  Alors ce Bonny…. Reconstitution du crime. On a carrément écarté le témoignage de l’ouvrier agricole. Il n’est même pas signalé dans le livre de Denis Langlois. Je ne sais pas si vous avez lu le livre de Denis Langlois, moi, je l’ai lu, ce n’est même pas signalé. On a considéré que ce n’était pas un témoin. Parce qu’il était simple d’esprit, a-t-on dit. Il n’était pas simple d’esprit, c’était un ouvrier agricole polonais qui ne savait pas s’exprimer très bien sans doute en Français mais enfin qui savait bien dire ce qu’il avait vu. D’autant plus qu’il avait donné un détail – que j’ai oublié – mais qui pouvait être intéressant quant au signalement lorsqu’il avait vu arriver la voiture dans la nuit et qu’il avait aperçu des sihouettes…

L.L. : L’ouvrier agricole, c’était chez ?

Mme F. : Chez le fils. Dans la ferme de Chandres. Et jusque là – je l’ai signalé aussi à Denis – les deux Quemin ont été longtemps fâchés. Il ne se voyaient plus. Or, à partir de l’affaire, ils étaient…

L.L. : Ils étaient comme deux doigts de la même main…

Mme F. : Ils se promenaient même bras dessus bras dessous dans le village. C’était pas le genre. A la campagne un père, un fils ;. Mais là, c’était vraiment…

On a donc écarté le témoignage de l’ouvrier agricole. Je vous le dis. Il n’est même pas signalé. Et puis celui de Monsieur Viet, et bien on a dit qu’il aimait bien les bonnes soirées bien arrosées, ou quelque chose comme ça. Alors que ce Monsieur Viet venait toutes les semaines chez mon oncle depuis… oh ça a duré au moins vingt ans. Il venait apporter son journal, puis il emportait ceux de mon oncle et de ma tante, ils faisaient un échange. JAMAIS UNE FOIS, il n’a pris une goutte de vin ou de quoique ce soit. Il était sobre. Et c’était remarquable, parce que vous savez, à la campagne…

L.L. : Oui, je sais, ici on boit « la goutte » facilement…

Mme F. : Même pas un verre de vin. Alors voilà, on a dit il aimait bien arroses ses dîners. Maintenant, le jour de la reconstitution, il a tout de même dit, voilà, je demande qu’on fouille à tel endroit sous le pont. En même temps, il fixait Quemin. Et il a vu Quemin prendre un air… Je ne sais pas il a vu dans ses yeux comme une peur, et puis il a levé les bras en trois temps en l’air. Il s’est senti peut-être perdu… Et à ce moment-là, le maire de Lormaye est intervenu pour dire «  pour satisfaire la population, je demande qu’on fouille – je crois que c’était sous le hangar aux cochons, enfin je ne sais où, mais dans la propriété des Quemin. » Et on n’a pas fouille SOUS LE PONT, on est allé fouillé sous le hangar…

L.L. : C’est incroyable, ça….

Mme F. : On n’a pas fouillé sous le pont, on a fouillé sous le hangar.

L.L. : Et depuis il n’y a jamais eu de fouilles sous ce pont ?

Mme F. : Il n’y en a jamais eu. A ma connaissance, il n’y en a jamais eu. Il n’a peut-être pas non plus laisser… Je ne sais pas…

L.L. : Oui, il a eu le temps de se retourner…

Mme F. : Oui, il a eu le temps de se retourner. Mais de toutes façons, il n’y a jamais eu de fouilles. A ma connaissance. Je ne veux pas… Et… Ah oui, tout à l’heure, je disais qu’ils étaient indicateurs de police, c’était connu, et avec les protections, il n’y avait jamais de suite. Quand quelqu’un portait plainte pour vol pour coup, ou n’importe quoi… Mon oncle avait porté plainte pour coups et blessures par ce que Quemin l’avait agressé à la suite de « L’Affaire ». Mon oncle avait parlé. Vous savez, il parlait assez facilement. Quemin l’a agressé. Ma tante était institutrice, la femme de mon oncle, et, habitait l’école de Lormaye…

L.L. : ça vous ennuie de me donner leur nom ?

Mme F. : Non, ils s’appelaient Doucet. Quemin l’a agressé. Il passait avec quelques vaches, et il avait un gourdin pour diriger ses vaches. Il s’est trouvé alors en face à face avec mon oncle, il a roué de coups mon oncle, qui est allé voir le médecin, qui lui a fait un constat et qui a porté plainte. Il n’y avait jamais de suite.

C’était comme ça tout le temps avec Quemin, c’était pour ça que les gens avaient peur un peu, vous voyez…

L.L. : Alors j’avais la version d’un j’teux d’sort, moi, de quelqu’un qui manipulait… Qui aurait été très lié à la magie noire, aussi hein…

Mme F. : Ah ça, je ne sais pas.

L.L. : C’est ce qu’on dit à Chaudon. Mais je ne veux pas vous troubler votre version avec les dires d’ici. Est-ce que vous aviez su quelque chose au sujet d’une version – qui m’avait beaucoup troublé, avant l’histoire du livre – c’est la version selon laquelle la dernière fois que Quemeneur a été vu en vie ce serait au Bar Tabac de Nogent-le-Roi avec Quemin. Est-ce que ça vous en avez entendu parler ?

 

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Mme F. : Ah ça non. Moi ce que je vous dis, c’est vraiment ce que j’ai entendu raconter par le Monsieur Viet devant moi. Pas tous les jours de l’année, bien sûr. Mais un certain nombre de fois, je vous assure, et dans ma famille on en reparlait chaque fois…

Je voulais vous préciser quand même à propos de la police. Le fils a trouvé le moyen d’être déporté. Je crois qu’il a fait du marché noir avec tout le monde. Les Allemands, etc… A-t-il aussi fourni du ravitaillement aux gens de la Résistance, je ne peux pas vous dire, toujours est-il qu’il est revenu…. Moi, j’ai entendu dire qu’il avait été arrêté parce qu’il a été pris par les Allemands faisant de trafic. Il les avait roulés. Et ils n’aimaient pas trop être roulés, les Allemands. En tous les cas, il est revenu comme déporté…

L.L. : Glorieux, quoi ?

Mme F. : Oui, glorieux. Je ne sais pas s’il a été admis comme résistant, je n’en sais rien. Mais ce que je sais c’est qu’il y a eu deux livres écrits sur le temps de l’Occupation en Eure-et-Loir et que la Résistance, et dans l’un des deux on parle de Quemin et de July, je crois, qui était un avoué de Dreux et on signale, il faudrait que je vous recherche dans le livre la page où l’on parle d’eux comme s’étant connus dans une Amicale de Police.

L.L. : Allons, donc…

Mme F. : Cela avait un rapport avec une Amicale de la Police.

L.L. : C’est très clair.

Mme F. : Je trouve que là… je ne pensais même pas que j’aurais un jour cette preuve sous les yeux.

L.L. : Donc c’est très clair que le fils Quemin était un indicateur.

Mme F. : Le fils et le père.

L.L. : Parce que Denis m’a dit qu’il n’avait jamais retrouvé aucune trace des interrogatoires de police, parce que Quemin aurait été interrogé quand même par la police, et il n’y a aucune trace au Parquet de Chartres des interrogatoires.

Mme F. : Mais il en existe certainement puisqu’il y a eu la reconstitution. Je ne sais pas exactement en quelle année a eu lieu cette reconstitution, mais je pense que c’était … Je devais avoir à peu près huit ans, voyons, en 23, j’avais trois ans, c’était peut-être cinq ans après que l’affaire était ressortie et qu’ l’on avait décidé cette reconstitution. Mais je vous l’ai dit : menée par Bonny. Alors comme Bonny depuis le début s’était employé à faire des faux dans cette affaire-là précisément.

L.L. : Et Bonny, avant de mourir, aurait dit…

Mme F. : Ah bah, il a dit… Mais vous le trouverez dans le livre de Denis Seznec. Langlois en parle aussi dans lon livre. Et Marcel Jullian aussi.

L.L. : Mais vous êtres très très au courant…

Mme F. : Mais vous savez ça m’a tellement marqué quand j’étais jeune que dès que j’ai eu vent de la sortie d’un livre je l’ai acheté. Ce sont même mes fils qui me les ont achetés.

L.L. : Vous avez eu raison. Alors, la fin de Quemin père, si on en parlait un petit peu…

Mme F. : La fin de Quemin père, je ne peux pas vous en parler parce que moi j’ai quitté l’Eure-et-Loir.

L.L. : Il faudra que je trouve d’autres témoins qui pourront m’en parler. Parce que moi, j’avais eu une version que la police avait quand même de forts soupçons sur Quemin et que jusqu’au bout on avait cherché… On avait même mis des gens qu’on appelait des « traine-paquets » sous ses fenêtres pour voir s’il allait dans son délire dire quelque chose. Alors ça, vous, vous n’en avez jamais entendu parler ?

Mme F. : Non, parce que moi j’avais déjà quitté l’Eure-et-Loir. J’ai quitté Lormaye au début de la guerre. Ecoutez, j’étais en pension à Maintenon, puis à l’Ecole Normale de Chartres, puis après en 41 j’étais dans la région de Saint-Georges-sur-Eure.

Mais, dites-moi, à Chaudon, vous devez connaître, comment… Maurice Bouvier… Ecoutez, il a été … A l’Ecole Normale de Chartres…

L.L. : Ah, mais vous me parlez de l’inspecteur Bouvier, bien sûr. Le commissaire. Mais tout à fait, je le connais très bien.

Mme F. : Vous dites « Inspecteur » ou « Commissaire » mais après il a été Directeur de la Police Judiciaire. Alors, un jour, il y avait une réunion des anciens, c’était pour les soixante ans. Il y avait eu un repas organisé là-bas. J’avais été invitée par l’un des organisateurs. Qui était aussi un ancien normalien. Marcel Polvé de Lormaye.

L.L. : Je connais ce nom. Je suis très liée avec la famille Landais. Pierre, le père, et Guy, le fils. Qui est instituteur à Boissy, lui maintenant.

Mme F. : J’ai connu Pierre Landais, autrefois.

L.L. : Revenons au Commissaire Bouvier.

Mme F. : Donc, le jour de ce repas, j’étais assise à côté de lui, entre lui et Marcel Polvé. J’habitais le Midi à ce moment-là. Marcel a branché Maurice sur l’affaire Fratoni, un scandale à Nice, une histoire de casino et de meurtre. Bouvier n’a pas fait des révélations, évidemment, mais il en a parlé volontiers de l’affaire Fratoni. Et puis moi, ce qui m’intéressait, c’était de lui parler de l’affaire Quemin, et quand je lui ai parlé de l’affaire Quemin… Et il est très aimable, Bouvier. Mais, là, son visage s’est fermé. Et je n’ai pas eu un mot sur « L’Affaire ». Vous pensez qu’il a bien dû être au courant et qu’il a du en avoir tous les tenants et les aboutissants.

L.L. : J’irai le voir.

Mme F. : Comme il habitait Nogent-le-Roi, ce n’est pas possible qu’il n’en ait pas entendu parler. Et comme il a été Directeur de la Police Judiciaire… Alors ce que je sais aussi, mon fils avait invité des camarades, et une des personnes présentes disait qu’elle avait une amie qui avait étudié « L’Affaire Seznec ». On leur donnait à étudier pendant leurs études de Droit.

L.L. : Oui, bien sûr. C’était une grande affaire, tout de même.

Mme F. : Ce n’est pas seulement une erreur judiciaire, on a voulu trouver…

L.L. : Il a fallu que quelqu’un porte le chapeau.

Mme F. : C’est ça. Il fallait quelqu’un.

L.L. : Oui, et moi, je reste convaincue que c’est Quemin l’assassin, donc, c’est ce qu’on va essayer de prouver.

 

 

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Lormaye : lavoir Chemin des Clos. Un lieu idéal pour bavarder et laver... son linge sale.

 

 

 

 

 

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L
<br /> <br /> C'est le 7 octobre 1992. C'est ma première interview sur la piste de Lormaye. Dans un premier temps il faut "jouer à l'éponge", puis après on presse l'éponge (retranscription mot à mot), reste<br /> alors à vérifier les infos et à faire le tri.<br /> <br /> <br /> Même si très influencée par son milieu familial (instituteurs, LDH) et par ses racines à Lormaye, cette dame a eu le courage de dire. Ce qui n'est pas le cas de tous.<br /> <br /> <br /> <br />
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