Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : la piste de Lormaye : billet d'humeur pascale

 

 

 

 

 

 

"On est de son enfance comme on est d'un pays."

Antoine de Saint-Exupéry


 

 

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Devant la maison de Louise et d'Auguste

 

 

Ouiche ! Touchée, coulée. Sale pincement au cœur. Comme une écorchure à la lèvre pour cause de verre ébréché. Je viens de le croiser. Ce matin. Dans la seule boulangerie ouverte du bourg. Il a décoché ses mots, de dos, un peu avant les portes automatiques : « Je n’en verrai pas la fin ! »

 

Il est l’un de mes principaux témoins de la piste de Lormaye, cet ancien directeur d’école. Un peu moins grand. La crinière un peu moins léonine. Le pas plus fragile, soutenu par une canne. Sa phrase m’avait déjà été rapportée par l’un des membres de son équipe soignante. Mais là, j’ai eu le temps d’en souffrir tous les mots.

 

On peut me le reprocher. Oui, je suis sensible. « Hyper-sensible » ai-je souvent entendu, comme on gronde une enfant un peu trop gourmande. J’assume. Je n’en rougis point. Cela compense pour tous ceux qui ne le sont pas. Ou qui se sont construits pierre à pierre leur mur de la honte. D'être eux-mêmes.

 

Oui, j’aime les anciens (et les anciennes). Ils ont tant à raconter. Et si peu d’oreilles pour les écouter. Car on n’a plus le temps de…. D’écouter la propre mémoire de sa propre famille. Alors, pensez donc, se pencher sur la mémoire des autres. Et sur celle d’un village ! « C’était beau dans s’temps-là, oh, si tu savais comme c’était beau » murmurait ma grande-tante Jeanne. Dans le dernier délire de son agonie.

 

Ce n’était pas seulement beau parce qu’ils étaient jeunes, mais parce que l’époque était toute autre : « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » paroles d’un grand Monsieur de la Chanson.

 

L’époque était plus douce. Tous se connaissaient au village. Tous s’aidaient. Se fréquentaient. Allaient aux mêmes fêtes. Dansaient avec les mêmes cavaliers. N’est-ce pas grâce à mes recherches sur la piste de Lormaye que j’ai découvert le lieu de naissance de mon grand-père Courtois : Lormaye ! Après, l’imagination s’emballe. Qu’est-ce qui me fait tant aimer ce petit bal de la Saint Jean ? Moi, la sauvage, la solitaire. Qui fuit les foules. Louise était-elle venue, en cette belle fin de juin, danser avec ses sœurs pour la fête de la Saint-Jean-Baptiste ? A-t-elle été séduite par son danseur au premier regard ? A-t-elle sauté en tenant ses jupons par-dessus les brandons du feu en formulant un voeu ? A-t-il été séduit par la finesse de sa taille et le charme de ses boucles bien ordonnées ?

 

Je n’ai pas posé assez de questions. Mais, ça, je le sais, viscéralement. Je les aimais tant tous deux. Ils avaient toujours du temps pour moi. "Leur petite fille parisienne". Si effrontée. Si « garçon manqué ». Enfin lâchée de son joli pensionnat pour cause de vacances pascales.

 

Le plus grand cérémonial était le matin de Pâques. Ce n’était pourtant pas leurs opinions, mais les ordres paternels avaient tonné. Je me revois dans le grand baquet posé sur le carrelage de la cuisine d’hiver. Et Mammie me savonnant : « Il faut être bien propre et bien belle : c’est Pâques ! »

 

J’entends déjà les râleurs, les pisse-froid embusqués dans le no man’s land des sentiments. Ceux qui ont rayé leur enfance de leur carte géographique. Sous peine de châtiments : « Mais qu’est-ce que cela vient f…. dans « La Piste de Lormaye » ? »

 

C’est pourtant tout simple. S’ils n’avaient pas été « eux ». Je ne serais pas « moi ». S’ils n’avaient pas éveillé mon intelligence au monde, aux autres, et à leurs différences, je serais passée en aveugle à côté d’instants lumineux et uniques.

 

J’ai aimé les voyages à travers leurs récits de Russie. J’ai découvert Flaubert, Zola, et une certaine « Anna » dans leur grande bibliothèque aux portes ornées de rideaux froncés. J’ai appris qu’on pouvait se battre pour des idées. Et que la réunion de « cellules » n’était pas seulement un vocabulaire de prisons mais aussi des lieux privilégiés de discussions.

 

C’est « Pâques » et je suis la seule à survivre. Héritière involontaire de leurs lourds passés.

C’est « Pâques » et je pense à ses premières Pâques à lui, à Leningrad, fin avril 1924. Quel choc cela dut être : Lormaye / Leningrad. Mais quelle motivation quand on rejoint une usine russe pour y travailler via le Trust.

 

Alors, non, je ne crois pas au hasard. Rencontrer aujourd’hui justement ce cher vieux monsieur n’en est pas un. Juste une petite lumière sur ma route pascale. Les clients de la boulangerie nogentaise, débordante de la bonne odeur des poules et des oeufs en chocolat, sont restés un peu médusés quand ils m’ont entendue lui répondre, en souriant : « Mais si, vous en verrez la fin ! ».

 

Liliane Langellier

 

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N.B. Chaudon : la légende de la carte postale indique "Route de Dreux à Maintenon" en traversant

Chaudon, Nogent-le-Roi, Lormaye, Chandres,  et Pierres. Par les D 929, puis D 983.

 

 

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http://blogs.mediapart.fr/blog/nightingale/230411/leningrad-paques-1924

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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