Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

L'affaire Seznec : la piste de Lormaye revue et corrigée par les différents auteurs

 

 

 

 

 

 

"Faut rigoler, faut rigoler,

avant qu'le ciel nous tombe sur la tête"

Henri Salvador

 

 

 

lormaye 

 

 

 

 

C'est la rentrée. Une petite révision de notre sujet "piste de Lormaye" s'impose. Mais, de nos jours, on fait tout vite. Ce qui ne signifie pas que l’on fasse tout bien. Loin s’en faut. A l’époque du « fast food » et du « speed dating », pour jouer dans la même gamme, et avant la clôture des représentations de cette pièce, je vais donc vous offrir "vite fait" ce que nous écrivent au sujet de la piste de Lormaye (avec plus ou moins de justesse et plus ou moins de bonheur) les différents auteurs de l’affaire Seznec.

 

 

A tout seigneur, tout honneur, je vais donc commencer par «Nous, les Seznec» de Denis Seznec, pages 327 à 329, édition 2006 :

 

« Marie-Jeanne à Chartres ? Il est vrai qu’une piste a tenu en haleine toute la région de Dreux. Dans la fameuse nuit du 25 au 26 mai 1923, un certain Georges Viet, habitant Lormaye (commune distante d’une vingtaine de kilomètres de Houdan), revenant de Coulombs à vélo, aperçut un grand remue-ménage dans la ferme de Jean Quémin (dit Jean-la-Sacoche). Il vit la forme d’un corps jeté par-dessus les grilles de la ferme et nota le bruit mat de sa chute dans la rivière d’Auge – un fossé herbeux servant de trop-plein de l’Eure au printemps.

Dans ce coin, les Quémin ont une sale réputation. Des violents, des indicateurs de police selon certains. Georges Viet pédale un peu plus vite et rentre chez lui. Le lendemain matin, il retourne voir l’endroit, descend sous le pont et constate que la terre a été fraîchement retournée… Dormant mal – avec ce bruit mat dans la conscience – il s’en ouvre à son voisin. Un beau jour, un journal local titre : MONSIEUR VIET POURRA-T-IL DIRE QUAND IL A VUE M. QUEMENEUR POUR LA DERNIRE FOIS ? Puis ce sera L’Action Républicaine qui, après investigation, titrera en une (28 juillet 1928) : L’AFFAIRE SEZNEC : ON AVAIT VU ET ENTENDU QUELQUE CHOSE A LORMAYE.

Le parquet de Chartres fait ouvrir une enquête. Les gendarmes sont prêts à creuser le fossé herbeux, sous le pont. Mais le maire, présent sur les lieux, demande à ce que les fouilles se fassent plus loin, sous le hangar à cochons des Quémin, « la population croyant que le corps de Quemeneur a été dévoré par ces animaux. »… (A cette époque, les porcs servaient d’équarisseurs.)

10 août. Le Quotidien : L’AFFAIRE SEZNEC : MADAME SEZNEC ADRESSE UNE LETTRE OUVERTE AUX HABITANTS DE NOGENT-LE-ROI. Marie-Jeanne, en effet, lance un appel à témoins aux habitants de la région. Huzot vient enquêter sur place et conclut dans L’Ere Nouvelle, que Quemeneur a été attiré dans un guet-apens à Lormaye où on l’aurait assassiné. Il cite des gens ayant eu intérêt à le faire disparaître. Des membres de sa famille entre autres, un banquier de Paris et le fameux Quémin.

Dans L’Action Républicaine du 18 août 1928, on peut lire : « La seule chose à retenir c’est qu’un homme se dit tout prêt à affirmer à la justice qu’il fut, le soir même de la disparition de Quemeneur, prié par un automobiliste de lui indiquer l’habitation de M. Quémin. Le témoin prétend que cet automobiliste, coiffé d’un chapeau marron, répondait au signalement du conseiller général, et que la voiture elle-même ressemblait à celle que l’on retrouva abandonnée à Gambais. »

Marie-Jeanne, dans une lettre publiée par ce même journal, écrit : « … Le témoignage de Monsieur Viet me parait être des plus importants, étant donné que Nogent-le-Roi est peu distant de Houdan, où mon mari s’est séparé de son compagnon, Pierre Quemeneur… » Elle souligne l’importance du rapprochement géographique des lieux : Houdan/Lormaye.

Mais la Sûreté générale est déjà accourue sur les lieux et remplace les gendarmes. L’enquête, évidemment, conclura que le corps jeté dans l’Auge était certainement un épouvantail à moineaux et insinuera que Georges Viet aime bien la bouteille… Quant à Quémin, il portera plainte contre Huzot, qui, le 8 janvier 1929, sera condamné pour diffamation à 50 francs d’amende.

Cette piste eut un retentissement tel qu’aujourd’hui encore les gens de la région sont toujours persuadés, comme Huzot et Marie-Jeanne à ce moment-là, que le mystère Quemeneur a connu son épilogue, ici, à Lormaye. »

 

A part quelques extraits de journaux, Denis Seznec reprend ici partiellement le témoignage de Madeleine Femeau qui lui a écrit à de nombreuses reprises et qu’il a rencontrée.

Lire :  Affaire Seznec : la piste de Lormaye : la première interview

 

Point n’est question du témoignage de Pierre Patrice ni de ce qui s’est passé du côté de la ferme du fils Quémin Jean-Louis. Point n’est question non plus de l’ami Doucet qui fut pourtant la cheville ouvrière de cette piste.

Lire :   Affaire Seznec : Lormaye : 1929 : Jugement du procès Quemin

 

Quant au réel déclenchement de la piste de Lormaye, Georges Viet ne parle pas de "journal local" à Natanson mais bien du journal "Le Quotidien" (où travaillait Huzo).

Lire : Pourquoi le témoignage si tardif de Viet ?

 


 

 

HOUDAN MARCHE AUX VOLAILLESLa volaille n'a pas manqué dans l'affaire Seznec !


 

 

 

Mais juste avant le petit-fils, un autre Denis, Denis Langlois avait écrit dans son ouvrage : « L’affaire Seznec » (1988) en pages 278/279 :

 

« Et justement les lettres se succédaient, accompagnées de coupures de presse que l’administration pénitentiaire laissait passer, franc-maçonnerie oblige. Huzo te surprenait. Devant la cour d’assises, tu avais déclaré que, lors de votre repas au Plat d’Etain le 25 mai 1923, Quemeneur s’était levé pour donner un coup de téléphone. Huzo, lui, affirmait que Quemeneur avait reçu une communication. C’était surprenant, puisque personne ne pouvait savoir que vous auriez toute une série de pannes et que vous seriez obligés de vous arrêter à Dreux, puis à Houdan. Pour Huzo, c’était la preuve que vous étiez suivis depuis la Bretagne ou guettés sur la route et que l’on avait tendu un piège à Quemeneur.

Il avait donc enquêté dans la région et avait appris qu’un nommé Viet, cultivateur à Lormaye, un petit village à une vingtaine de kilomètres de Houdan, avait assisté à une étrange scène dans la nuit du 25 au 26 mai 1923. Il rentrait chez lui à vélo et longeait la propriété d’un marchand de bestiaux quand, devant lui, par-dessus le mur, on jeta un cadavre dans un ruisseau boueux. Les gendarmes fouillèrent les lieux et conclurent que c’était un épouvantail à moineaux qui était tombé d’un arbre et qu’on avait retrouvé à trente mètres de là. La méprise ne les étonnait pas, car Viet avait la réputation de bien arroser ses soirées.

Il en fallait plus pour décourager Huzo. Il continua à enquêter sur place et, dans son journal l’Ere Nouvelle, écrivit des articles où il affirmait que Quemeneur avait été attiré dans un guet-apens où on l’avait assassiné. Il citait même des noms de gens qui avaient intérêt à le faire disparaître : des membres de sa famille, un banquier parisien et bien sûr le marchand de bestiaux de Lormaye. Ce dernier porta plainte et Huzo se retrouva devant le tribunal pour diffamation.

Les juges se moquèrent de « ce presque homonyme de Victor Hugo qui se prenait pour Zola  et croyait avoir trouvé son affaire Dreyfus. » Ils tinrent compte cependant de ses états de service pendant la guerre de 14 (une balle lui avait traversé la tête de part en part à Verdun et avait failli le laisser paralysé) et ne le condamnèrent qu’à 50 francs d’amende. »

 

Là, à défaut d’apprendre quelque chose sur la piste de Lormaye, on apprend que c’est bien Huzo et personne d’autres qui nous a créé la fable de l’appel téléphonique. J’avais aussi complètement oublié l’histoire de la balle de Verdun. Ceci pouvant expliquer cela, isn’t it ?




 

LORMAYE LA TOUR2

Il faut savoir prendre de la hauteur...



 

Bernard Le Roux, ou Bernez Rouz, dans « L’affaire Quéméneur Seznec, Enquête sur un mystère » (2005) affirme en page 168 :

 

« En 1928, naît l’affaire Quémin-Quémeneur. Une certaine Madame Lecourt se rappelle avoir entendu un appel au secours par une nuit de mai 1923 et un maraîcher, Georges Viet voit un homme se débarrasser d’un énorme colis ficelé dans la toile dans la rivière d’Auge. Ces deux témoignages conduisent à une enquête de gendarmerie et à des fouilles qui n’ont rien donné. Récemment, une journaliste nogentaise a nommément accusé Jean Quémin, maquignon à Lormaye, membre de la  police secrète d’avoir fait disparaître Quéméneur sur ordre du ministre de l’Intérieur, Camille Chautemps, qui serait l’instigateur du trafic des Cadillac. Pour Liliane Langellier, le coup de fil énigmatique de Pierre Quéméneur au restaurant Le Plat d’Etain à Houdan ne s’explique que par la présence à proximité d’une connaissance de Pierre Quéméneur, Jean Quémin. Celui-ci aurait enlevé et exécuté Quéméneur sur ordre.. Le cadavre de Quféméneur serait enfoui dans la dalle de béton d’une porcherie en construction, dans la plus droite lignée de la mort blanche, chère aux mafiosi italiens. »

 

Est-ce utile de préciser qu’avec mon riche tempérament, à la lecture de ces quelques lignes fausses et bâclées, j’ai sauté au plafond. Car Bernez Rouz était venu, avec son équipe, le 9 juillet 2004 à Lormaye (je leur avais aimablement servi de guide à Houdan et à Dreux) pour son documentaire : « Seznec-Quéméneur  une affaire d’Etat » diffusé au 12/14 de France 3 Ouest le samedi 2 octobre 2004.

 

Je lui ai écrit et lui ai dit de vive voix ce que j’en pensais. « Madame Lecourt » a été mentionnée une seule fois dans la presse locale et est vite allée dire que c’était une erreur, qu’elle n’avait SURTOUT rien entendu. Quant à Chautemps et au trafic de Cadillac, je n’avais rien inventé mais juste repris  les écrits de Denis Seznec. 


Cela ne m’empêche pas d'être fair play et de reconnaître que son ouvrage est le plus intéressant pour « faire avancer l’affaire ».



 

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Confrère et consoeur ?

 


 

Mais enfin, comme dirait quelqu’un, sur le podium des fins limiers, la médaille d’or est attribuée sans aucunes contestations à deux investigateurs hors pair : Albert Baker et Bertrand Vilain, dans leur ouvrage « L’affaire Seznec – Nouvelles révélations » très discrètement paru aux éditions Coëtquen en mai 2011 et qui osent écrire en page 124 : 

 

« L’hypothèse Quémin

A partir d’août 1928, un journaliste parisien à L'Ere Nouvelle, Charles Huzo, écrivit plusieurs articles dans lesquels il développa une nouvelle hypothèse. Quéméneur aurait reçu un coup de téléphone le soir de sa disparition à l’auberge du Plat d’étain à Houdan. Il aurait été kidnappé et assassiné dans une bourgade d’Eure et Loire, Lormaye. L’auteur du crime serait un marchand de bestiaux de la région, Jean Quémin. Bien entendu, il arriva ce qu’il devait arriver. Le marchand de bestiaux porta plainte pour diffamation. Le journaliste Charles Huzo fut condamné.

Fin du premier épisode.

 

Dans les années 90, une habitante de la région de Lormaye, Liliane Langellier, membre de l’association France-Justice, décida d’investiguer à nouveau cette piste. En plus de l’hypothèse Huzo, elle ajouta son roman personnel. Quémin aurait été indicateur de police et aurait agi sur les ordres de Bonny pour camoufler le vaste trafic de Cadillac.

Le problème est que Quéméneur ne donna jamais de coup de fil de l’auberge du Plat d’étain, ni n’en reçut. Il s’agissait d’une invention de Charles Huzo qui, reprise par Victor Hervé, devint une vérité vraie. Quant au fameux trafic de Cadillac, nous savons ce qu’il en est. Madame Langellier a été obligée de l’admettre dans un courriel adressé aux auteurs. Pour terminer, il n’a jamais existé la moindre relation entre Quéméneur et

Quémin si ce n’est les 4 premières lettres identiques de leurs noms respectifs. Tous les détails sont sur le blog de Liliane Langellier, http://www.piste-de-lormaye.com/. »

 

 

C’est non seulement faux de A à Z. Mais c’est en plus méchant. Je leur ai amplement réglé leur compte. Lire : Affaire Seznec : la piste de Lormaye : quand "Cold Case" tombe dans la sauce Harlequin



 

 

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"Pas vraiment sérieux, tout ça !"



 

Mais bien avant ce duo hors pair, il y avait eu un autre fin limier Maurice Privat, qui dans son ouvrage : « Seznec est innocent » (1931) écrivait, en pages 212/213, avec sa verve coutumière :

 

« Le 26 mai 1924, dans la nuit où l’accusation situa la disparition de Pierre Quémeneur, un cycliste habitant Lormaye, commune de l’Eure-et-Loir, proche d’Houdan, rentrait chez lui. La lune jetait ses lueurs féeriques, illuminant le chemin. Comme il longeait la propriété d’un marchand de bestiaux, dont la grille est baignée par un ruisseau bourbeux où la rivière d’Auge déverse son trop-plein, au printemps, il vit tomber un cadavre par-dessus le mur. Le corps avait suivi les bras et la tête, faisant plouf dans le fossé. M. Viet, qui revenait de Coulomb, où il avait passé la soirée avec son neveu, ne vit pas celui qui s’en débarrassait. Il rentra chez lui et revint, au matin, sur l’emplacement où il avait repéré un cadavre. A trente mètres de là, il ne trouva qu’un mannequin, espèce d’épouvantail à moineaux tombé d’un arbre du jardin.

Mme Seznec admit que peut-être, après tout, l’introuvable Pierre Quémeneur avait pu se rendre à Lormaye. Elle s’accrochait à tout ce qui pouvait apporter l’ombre d’une preuve. Sans logique, mais avec passion, elle lançait ses cris tragiques, effarée qu’on n’y fit pas écho, jamais découragée. »

 

 

Fermer le ban.

 

 

Liliane Langellier

 

 

 

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