Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

L'Affaire Seznec : "Notre bagne" de Jane Seznec

 

 

"Et maintenant, laissons parler Jane, "la petite Jane"

comme disent ceux qui la connaissent et qui l'aiment."

Claude Sylvane

 

 

Elle est, depuis que je la connais,  mon personnage préféré de l’affaire Seznec. Jane, Jeanne, Jeannette. La seconde fille de Guillaume. Celle qui a repris le flambeau de la lutte. Après sa mère Marie-Jeanne.

 

Elle est mon personnage préféré. Ma petite mère s’appelait Jeannette. Comme elle. Elle était née en 1912. Comme elle. Elle n’avait pas manqué de courage au cours de sa vie. Comme elle.

 

Le livre des propos recueillis par Claude Sylvane n’est certes pas considéré par la plupart des historiens ou des chercheurs sur l’affaire Seznec comme une œuvre capitale égrenant des faits exacts. Loin s’en faut. Je l’avais pourtant déjà lu deux fois. Mais je ne le possédais pas. Et il était introuvable. J’ai fini par le repérer sur Internet. Je l’ai reçu ce matin. Puis je l’ai lu. Tout à fait différemment.

 

La première fois, en 1992, je ne connaissais rien à l'affaire Seznec. La deuxième fois, en 2003, je n’avais guère plus d’éclaircissements. Cette fois, cet aujourd’hui, c’est tout à fait différent.

 

Entre « Justice pour Seznec ! » de Charles-Victor Hervé (1933), et « Notre bagne » de Jane Seznec (1950), dix-sept années s’écoulent sans aucune parution de livres.

 

Guillaume rentre du bagne le 1er juillet 1947.

 

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Claude Sylvane débarque dans le Tarn et Garonne, où habitent les Seznec, début février 1950. Ce livre peut sembler bâclé pour certains. Avec d’énormes inexactitudes pour d’autres. Et ils ont raison. Mais c’est ce livre qui est à l’origine des grands meetings pour l’innocence de Seznec. Denis Seznec, en page 401, de son livre "Nous, les Seznec", édition 2006, écrit :

 

« C’est à cette époque que Claude Sylvane, une journaliste, lui propose de recueillir ses confidences pour écrire un livre sur sa vie. La collaboration s’instaure et le 15 avril 1950 paraît « Notre bagne », signé Jeanne Seznec. La sortie du livre, précédée d’une abondante publicité à la radio, de la publication de larges extraits dans les journaux, est un « évènement médiatique », comme on dirait aujourd’hui. L’éditeur qui a vu grand, organise un énorme meeting salle Wagram, point de départ d’une tournée de conférences dans la France entière, de signatures dans de nombreuses librairies.

Le meeting, où se pressent plus de cinq mille personnes, dont de nombreux Bretons de Paris, est un immense succès. La salle Wagram, archi-comble, est en délire, vibrante de générosité et d’enthousiasme. Mon grand-père, à la tribune, aux côtés de Me Raymond Hubert, d’Emile Kahn, président de la Ligue des droits de l’homme, est touché, réconforté, de voir cette foule acquise à son innocence. »

 

Voilà, qui, sans faire de la psychanalyse de bazar, peut largement préfigurer et expliquer les conférences de Denis Seznec à partir de son livre personnel.

 

Hors ce fait, il y a dans ce livre des précisions que je n’ai trouvées nulle part ailleurs. Ou des faits explicités de façon très différente.

 

En page 15, sur l'entente cordiale des deux familles : « Les Seznec et les Marc ne s’entendaient pas et s’adressaient des reproches mutuels, sans raison grave, comme cela arrive en province. Quand nous faisions quelque chose de mal les Seznec prétendaient que nous étions bien des Marc et les Marc, que nous ressemblions aux Seznec. »

 

Sur la naissance de Marie, en page 16 : « Mon père accomplissait une période militaire à Brest. Il avait obtenu une permission pour rejoindre ma mère qui se trouvait sur le point de mettre l’enfant au monde. C’était le 1er novembre 1908. Mes parents habitaient Plomodiern où ils avaient un magasin de cycles. Mon père ayant manqué le train, dut faire soixante-douze kilomètres à bicyclette à travers les Monts d'Arrée. Il arriva à la nuit pour voir le feu chez lui. Heureusement ma mère et ma soeur étaient déjà à l'abri.»

 

Sur la période de la guerre , en page 18 : « Papa, qui était réformé à cause de ses brûlures, avait été mis à la poudrerie de Brest. »

 

Sur l’éducation des deux filles, Marie, 7 ans, et Jeannette 3 ans : « Le lendemain, j’étais mise en pension chez les Sœurs Grises de Kerbonne… » (page 20)

 

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Albert, Marie, Guillaume et... Jeanne

 

 

Sur l'épouse de Petitcolas « Il me restait ma grand-mère et ma tante, la sœur de mon père qui était la marraine de Marie » (page 23 après récit du déménagement des Seznec à Morlaix).

 

Puis les deux filles rejoignent Morlaix : « A Morlaix, Marie et moi fûmes mises en pension chez les Ursulines. (…) L’uniforme était obligatoire. Nous allions tous les matins à la messe avec une mantille, noire la semaine et blanche le dimanche. »

 

Sur Seznec « le bon patron » (page 26) : « Bien logé, il estimait que ceux qu’il occupait devaient l’être aussi. C’est ce qui lui fit acheter un peu plus tard une grande maison dans Morlaix pour y mettre tous ceux qui travaillaient à la scierie. Il y installa peu après sa mère, dans un appartement qui avait un balcon, prouvant ainsi qu’il entendait faire de ses ouvriers une grande famille. »

 

Sur Marie et sa santé fragile : « On dut l’envoyer au pensionnat de Huelgoat, renommé pour le bon air et le calme. Quant à moi, je rentrai à Saint-Martin où je fis ma première communion. »

 

Sur le côté fantastique (Dieu d'un côté et les esprits de l'autre), merveilleux, apparitions, selon, qui est déjà présent lors de ce jour de première communion (page 29) : « C’est alors que je vis quelque chose qui, aussi longtemps que je vivrai, restera gravé dans ma mémoire. Comme je regardais vers l’usine, il me sembla soudain apercevoir, dans l’encadrement de la porte, une grande croix blanche, ou plus exactement une silhouette lumineuse semblable à celle d’un homme debout, les bras en croix. »

 

Et ce n’est pas neutre. Car toute la vie de Jeannette sera jalonnée d’apparitions de sa sœur Marie après sa mort, lors de ses rêves, mais aussi de recours à des voyantes, des pendules, etc… pour faire avancer une situation inextricable.

 

Sur l’explication de la fortune de Pierre Quemeneur en page 35 : « On prétendait qu’il avait fait fortune pendant la guerre en achetant et en revendant des propriétés. »

 

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Un procureur...... ou un autre ? (page 47) : "Peu de temps auparavant, mon père avait porté plainte contre un avoué qui lui avait détourné 70.000 francs. Par suite d'une négligence ou d'un oubli, la plainte n'avait pas été transmise au Garde des Sceaux par le Procureur de la République de Morlaix.

A la suite d'une réclamation de papa, celui-ci avait reçu un blâme rigoureux pour la mauvaise tenue de son cabinet.

Sans doute cela n'arrangea-t-il rien lorsqu'il s'agit de l'arrêter. Alors que le procureur de Brest s'y refusait, celui de Morlaix le fit volontiers. Et c'est, pendant la prévention que l'avocat de mon père, Maître Bienvenue de Saint-Brieuc, obtint 100.000 francs de dommages et intérêts pour cette affaire. Et cela ne devait pas non plus arranger le reste."

(ndlr : les procureurs Guilmard pour Brest et Picard pour Morlaix, l'avoué : Croissant)

 

Nous sommes en 1950 et Bonny fait son entrée sur scène (page 57) : « L'acte de vente dressé par Quemeneur et signé par mon père gênait les "enquêteurs". C'est sans doute pour cela que ma mère avait eu un jour la visite de l'inspecteur Bony de sinistre mémoire. Bony n’était alors que le secrétaire du commissaire Vidal, chargé de l’enquête. Ma mère m’a toujours dit que ce dernier avait été correct, mais Bony employait une méthode plus personnelle… Notre Angèle l’avait surnommé « Pattes de Canard » à cause de la façon qu’il avait de marcher les pieds en dedans. C’était un canard avec des serres d’oiseau de proie… »

 

Bony qui pique l’original de la promesse de vente. Bony qui planque la machine à écrire. Pain Bony, comme l’avait surnommé quelqu’un sur le forum de Madame Lebranchu.

 

Sur le passage de Seznec à la Poste de la rue de Malesherbes le 26 mai 1923, et, pour la satisfaction d’un lecteur assidu de mon blog, je reproduis, en page 75 : « Mon père n’était pas très instruit, mais étant dans les affaires, il ne pouvait pas ignorer que pour se faire délivrer une lettre recommandée poste restante, il faut une pièce d’identité et que pour toucher ensuite un chèque barré à la banque il en faut également une. Il eût été plus simple de penser que c’était bien Pierre Quemeneur qui s’était présenté au bureau de poste et auquel on avait répondu, du reste, qu’il n’y avait rien pour lui. »

 

Intéressante aussi cette précision sur la lutte de Marie-Jeanne (page 98) : « Quels mots sauraient mieux la décrire, l’évoquer, que cet article écrit par Yvonne Sarcey en 1926 dans « Les Annales » et intitulé simplement : « Une femme » ?

(…) Et la voilà qui s’acharne à découvrir le fait nouveau permettant la révision du procès. Avec un flair et un instinct admirables, elle tombe en arrêt devant la moindre fissure par où pourrait passer l’innocence du condamné. »

 

L'encrier... à la figure de... (page 115) :"Une religieuse entra et s'adressa à ma mère :

- Vous étes bien madame Marc  - ma mère avait-elle aussi abandonné le nom de Seznec - et vous habitez bien 58, rue de Monceau ?

Maman pâlit, pressentant quelque chose.

- Oui, ma Mère...

- Pourquoi n'avez-vous pas indiqué votre arrondissement ? On n'a pas pu vous prévenir. Votre fille est morte à 5 heures ce matin !

Maman chancela... Alors, dans un geste que je ne pus retenir, j'attrapai l'encrier qui se trouvait sur le bureau et le jetai à la figure de la religieuse..."

 

Sur leurs relations avec Charles Huzo (page 123) : « Je la vois encore, si lasse après ces rudes journées qui s’achevaient tard le soir, vers 9 ou 10 heures, s’habillant et partant dans cette rue perdue du côté de la porte de Versailles, vers le seul espoir qu’elle eut à Paris : M. et Mme Huzo.

M. Huzo était journaliste. Il avait pris la défense de mon père dans des articles qu’avaient reproduits toute la presse bretonne, articles que quelques années plus tard, l’ancien juge, Victor Hervé devait reprendre dans une autre campagne.

Que de fois j'ai vu ma pauvre mère exténuée, s'arêter au milieu d'un des six étages  qui conduisait à l'appartement de M. Huzo et qu'elle gravissait comme on monte un calvaire ! Elle restait à la porte, quelques instants avant de sonner, pour qu'on ne voit pas sa pâleur. Elle cherchait avec M. et Mme Huzo tout ce qui pourrait intervenir en faveur de mon père et elle redescendait avec un espoir qui l'aidait à vivre encore un peu.»

 

Les Seznec ont toujours vécu AVEC la presse : « Quelques jours plus tard – le lendemain peut-être – nous avions une autre visite : M. Marius Larique, le directeur de « Détective » qui s’était toujours beaucoup occupé de l’affaire de mon père. Il avait appris que Mme Seznec était malade, seule à Paris, et venait faire une photographie d’elle pour son journal. »

 

Tristement, en page 131 : « Ma mère fut enterrée au cimetière de Saint-Ouen, après une courte cérémonie à l’église Saint-Philippe-du-Roule. La famille de mon père, pas plus que la sienne du reste, ne jugèrent bon de se déranger pour l’accompagner à sa dernière demeure. »

 

Sur le pourquoi du comment de la libération de Guillaume, en page 184 : « Mon père fut libéré le 14 mai 1947. Sa condamnation au bagne à perpétuité avait été remise en 1938 à vingt ans à partir de cette date, ce qui devait faire en tout trente-quatre ans. En 1946, le colonel-médecin directeur de la Guyane, M. Seinz, demanda la remise totale de sa peine qui lui fut accordée, mais qui ne fut effective que onze mois plus tard. »

 

Et sur le séjour à Riec-sur-Belon (page 197) : « Le lendemain, suivant mes indications, il partait pour Brest où M. Klein que j’avais prévenu l’accueillit avec son habituelle bonté. Il lui offrit l’hospitalité, puis l’envoya à Riec-sur-Belon, voir Madame Bosser de la Ligue des Droits de l’Homme qui avait organisé tant de conférences pour sa réhabilitation depuis sa condamnation.

C’est elle qui pensa à le confier à la famille Berthou, à la ferme de Rudéval, à trois kilomètres de Riec. »

 

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Guillaume Seznec témoigne à la barre lors du procès de sa fille Jeanne

 

Bernez Rouz, écrit en page 10 de son ouvrage "L'affaire Quéméneur Seznec" :

 

"L'ouvrage sort en feuilleton dans Paris-Presse, la parution du livre est fort bien orchestrée par l'éditeur qui fait venir à Paris Jeanne et son père. Claude Sylvane, Jeanne et Guillaume Seznec entament un tour de France marqué par soixante-dix conférences, qui constitueront, après la croisade du juge Hervé dans les années 1930, un des moments les plus forts de la campagne de réhabilitation.

Ce livre ne contient pas de révélations nouvelles sur l'affaire elle-même. L'écrivain reste une seule soirée en compagnie des Seznec ; c'est un peu court pour une "collaboration" véritable et une mise en confiance de gens particulièrement éprouvés par la vie. Jeanne avait 11 ans au moment des faits et ne peut guère apporter d'éléments nouveaux, sinon sur le calvaire qu'elle a subi depuis son mariage avec François Le Her. Le truc littéraire est de raconter l'affaire Seznec à la première personne et ça marche. Le livre est un best-seller. Jeanne et Guillaume Seznec pourtant dans une misère noire ne toucheront pas un sou."

 

 

Dans cet article, j’ai, bien évidemment, zappé tous les passages sur l’enquête, l’instruction et le procès.

 

Je n’ai pas souhaité non plus m’attarder sur ce triste sire que fut François Le Her, père de Denis. Dont on retrouve les méfaits et la vie trépidante dans l’ouvrage de Michel Keriel : « Autour de Seznec ».Et qui fut tué par Jeanne le 3 octobre 1948. Pour plus de détails, lire sur : link

 

Je suis restée proche de Jeannette. De sa vie douloureuse. De son courage. De son combat. Elle qui reste, pour moi, et de loin, le personnage le plus émouvant mais aussi le plus complexe de cette affaire.

 

Liliane Langellier.-

 

P.S. Tout au long de cet ouvrage :

- la pratique de la religion et les prières semblent ferventes chez les Seznec, lire pour rappel sur ce blog :

L'affaire Seznec : Guillaume Seznec était-il vraiment catholique ?

- la langue bretonne est souvent évoquée.

Parlée par les adultes devant les enfants qui ne la comprennent pas. Et à qui elle n'a visiblement pas été enseignée."Gast !" dirait une fois de plus la brave et fidèle bonne des Seznec, Angèle Labigou...

 

http://www.lefeudor.com/img/p/788-876-thickbox.jpg 8 novembre 1912 : naissance de Jeanne Seznec à Saint-Ségal.

Ses parents sont aubergistes à Port Launay, le port de Châteaulin.

Fin 1924 : Jeanne est placée par Mgr Duparc sous le nom de Jeanne Marc (nom de jeune fille de sa mère) à La Providence Carmel de Lorient. Jusqu'à l'âge de 17 ans 1/2.

14 mai 1931 : Mort de Marie-Jeanne Seznec.

 

Novembre 1931 : Rencontre de François Le Her au Club du Faubourg lors d'un meeting pour l'affaire Seznec.

"Victor Hevé devait venir y parler. (...) Léo Poldès m'avait installée sur l'estrade où se trouvaient plusieurs personnes qui avaient connu mon père, et notamment le témoin Le Her" en page 138.

 

6 octobre 1934 : Naissance de Jean-Claude Le Her à Paris

12 janvier 1935 : Mariage de Jeanne Seznec avec François Le Her

10 janvier 1937 : Naissance de Francette Le Her au Plessis-Robinson

4 octobre 1943 : Naissance de Bernard Le Her à Kergleuchard (Plourin-Ploudalmezeau, Finistère)

26 décembre 1946 : Naissance de Denis Le Her à Kergleuchard (Plourin-Ploudalmezeau, Finistère)

1er juillet 1947 : Retour du bagne de Guillaume Seznec

 

3 octobre 1948 : Jeanne Le Her tue son mari François Le Her

22 juillet 1949 : Acquittement de Jeanne Le Her aux Assises de Quimper.

 

 

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