Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : le jour où... (1ère partie)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CASSETTE LE ROUX

 

 

 

 

Dans une enquête, fut-elle sur la piste de Lormaye, il y a toujours "le jour où..." Pour moi, ce fut le samedi 2 octobre 2004. Il y a huit ans. Cette émission a été uniquement diffusée sur France 3 Ouest, et non en National. Elle n'est visible nulle part. Comme j'y étais interviewée, France 3 Ouest m'en a aimblement fait parvenir la cassette plus tard. Je l'avais déjà  retranscrite, après l'avoir vue et enregistrée sur Internet, oui, je l'avais déjà retranscrite mot à mot, alors je partage avec vous "Le jour où..."

 

 

12/14 Ouest : l’enquête  - samedi 2 octobre 12 h 50

 

« Bonjour et Bienvenue dans le 12/14 Ouest » 2 octobre 2004

 

Comme tous les samedis : l’enquête et dans l’enquête, ce midi, au sens quasiment policier du terme, on va parler de l’affaire Seznec qui a commencé, il y a 80 ans. Dès qu’on dit « Seznec », qui fait partie de l’Histoire aujourd’hui, mais vous êtes sûr, une polémique se crée, il y a les « Pour » et les « Contre ». On ne va pas rentrer là-dedans, ce midi, il faut savoir que, parallèlement, moins de gens s’intéressent à Pierre Quemeneur. Celui qui a été assassiné. Et si finalement entre Seznec et Quemeneur, il n’y avait pas beaucoup de différences ?

 

L’un et l’autre faisaient des affaires ensemble. Et la question que nous nous posons ce midi est de savoir si « L’affaire Seznec Quemeneur » est une affaire de filouterie et de commerce qui a mal tourné, autour d’un stock de voitures américaines, en l’occurrence, ou bien si derrière tout ça il n’y avait pas d’autres enjeux, une espèce d’affaire politico-judiciaire, comme on dirait aujourd’hui.

 

Bernard Le Roux et Christophe Molina nous guident dans cette histoire avec de nouveaux documents inédits que nous découvrons.

 

 

Il y a 80 ans, la ville de Quimper vivait un procès historique qui a marqué la justice française. Pendant 10 jours la population a vécu au rythme d’un procès fleuve qui a fait défiler à la barre 148 témoins. Une foule de journalistes et de curieux ont envahi les abords du Palais de Justice pour voir l’accusé : Guillaume Seznec. Pour connaître les détails d’une affaire qui reste comme un grand point d’interrogation dans les annales judiciaires.

 

4 novembre 1924 : la Cour d’Assises condamne Guillaume Seznec, maître de scierie à Morlaix, aux travaux forcés à perpétuité. Le coupable a tué son ami, Pierre Quemeneur, négociant en bois à Landerneau et conseiller général du Finistère. Selon la version officielle, les deux hommes ont pris la route de Paris, le 25 mai 1923, dans une Cadillac. Seznec voulait vendre sa voiture à Paris, une voiture qui était l’échantillon d’un trafic de voitures américaines. Le voyage se passe mal. La voiture tombe très souvent en panne. Les deux hommes, fatigués et excédés, en viennent aux mots puis aux mains. Les jurés sont convaincus que Seznec a tué son ami d’un coup de cric et qu’il a fait disparaître le corps dans un étang de la région parisienne. Depuis 80 ans, la famille Seznec crie à l’injustice. Guillaume a toujours clamé son innocence et quant au corps de Quemeneur, il n’a jamais été retrouvé.

 

Denis Seznec :

"Les jurés, s’ils se sont trompés, à mon avis, on les a surtout trompés. Dans une affaire, où je rappelle quand même, il n’y avait pas de cadavre, il n’y avait pas d’aveux, il n’y avait pas de témoins, il n’y avait pas d’armes. Donc, c’est une intime conviction qui a prévalu."

 

Patrick Le Quinquis, Président du Tribunal de Grande Instance de Quimper :

« C’est certainement, dans le contexte d’une affaire criminelle, un élément important que le corps n’ait pas été découvert. Cependant, et bien que l’accusé ne reconnaisse pas les faits, la conviction de la culpabilité, la preuve de la culpabilité peut naître d’une multiplicité d’éléments qui, peut être individuellement ne feraient pas preuve, mais qui, ajoutés les uns aux autres, finissent par la formuler et entraîner alors la conviction de la culpabilité.


(Bruit de pas) Cette salle est celle où Guillaume Seznec a été jugé, les magistrats professionnels se trouvaient isolés, au fond de la salle, tels qu’ils sont actuellement, et les jurés se trouvaient sur le côté de la salle. Il y avait vraiment une stricte séparation. Les contacts étaient vraisemblablement très très très réduits. Les jurés délibéraient seuls sur la culpabilité et les magistrats professionnels délibéraient seuls, ensuite, sur la peine, si l’accusé, bien sûr, avait été déclaré coupable. »

 

La justice de 1924 ne fonctionnait pas comme maintenant. L’indépendance totale du Jury a donné parfois des sentences étonnantes. Ce fut le cas dans l’affaire Seznec. Les jurés avaient une feuille de questions. Ils ont répondu : « Oui, Seznec est le meurtrier ». Ils ont répondu : « Non, il n’y a pas eu de préméditation mais il y a eu guet-apens », ce qui est contradictoire. Le juge leur a demandé de revoir leur jugement. Ils ont donc raturé leur décision pour dire qu’il n’y a pas eu guet-apens.

L’affaire Seznec commence donc par un raté judiciaire.

 

Patrick Le Quinquis :

« En répondant négativement à ces deux questions, Guillaume Seznec ne pouvait plus être coupable que de meurtre et la peine encourue était celle des travaux forcés à perpétuité. Alors qu’autrement, effectivement, la peine encourue était la peine de mort. »

 

Sur le registre des décisions de la cour d’assises du Finistère, les travaux forcés à perpétuité sont inscrits en rouge. Une simple mention administrative qui cache 23 ans de prison et de bagne en Guyane. Le destin exceptionnel d’un homme qui a ému les Français.  Qui est aussi le destin tragique d’une famille réduite à la misère mais qui n’a jamais cessé de lutter pour faire connaître l’innocence de Guillaume Seznec.

 

Denis Seznec :

« Tant qu’elle existera, cette injustice, il y aura le combat de ma famille. Il y a eu le combat de ma grand-mère, de mon arrière grand-mère, ma mère. Je le suis depuis pas mal d’années également. C’est une question de principes. Je crois que quand il y a une injustice, il n’y a pas de question de temps, ni de mode, ni d’agacer quelqu’un ou pas. On proteste parce que on nous a humiliés, on nous a ruinés, et tant qu’il y aura un Seznec vivant, je crois qu’il y aura une protestation. »

 

Depuis 80 ans, les livres sur l’affaire Seznec se sont multipliés. Certains ont été écrits par des avocats qui ont eu accès aux dossiers, d’autres par des passionnés qui n’ont pas pu travailler sur les originaux, d’où un nombre invraisemblable d’hypothèses sur l’affaire.

 

Pour la première fois, un journaliste a eu accès au dossier. Une affaire qui continue à passionner parce qu’elle comporte nombre de mystères, elle comporte aussi les germes des grands procès du siècle, avec des soupçons de manipulations policières, de magouilles politiques, avec des relents de Franc Maçonnerie, bref, une affaire d’Etat. La médiatisation à outrance en a fait le symbole de l’erreur judiciaire. A l’heure d’une ultime révision demandé par le Garde des Sceaux, il est temps de faire le point.

 

….

L’affaire Quemeneur Seznec trouve ses racines à la guerre 14-18. En 1917, les Américains entrent en guerre contre l’Allemagne et cherchent des ports pour accueillir troupes et matériels. Les deux principaux sont Saint-Nazaire pour les matériels et Brest pour les troupes.

 

Alain Boulaire – Historien – Auteur de « Brest » Ed. Palantines :

« Cela a été un trafic absolument énorme, et dont on a, à mon avis, très difficilement l’idée. Il faut voir que, en quelques mois, i l y a eu quand même 970.000 Américains à débarquer mais avec un matériel absolument considérable. On sait, par exemple, qu’ils ont amené des locomotives, il ont monté tout un réseau de chemin de fer qui n’existait pas, ils ont amené des dizaines, voire des centaines sans doute et peut être même des milliers de camions puisqu’il ne faut pas oublier que c’est par Brest que transitait l’essentiel du matériel qu’on allait envoyer vers le Front »

 

Les Américains ont construit, aux portes de Brest, le camp de Pontanézen, une véritable ville avec ses 5.000 tentes et ses 1.200 baraques pouvant accueillir 80.000 soldats. Le village de toile fait rapidement place aux baraques en bois et aux caillebotis où marchent les personnalités en visite au camp.

Le journal local des Américains s’appelle d’ailleurs « Pontanezen duckboard » « Les caillebotis de Pontanézen » !

Et… Devinez : Qui fournit le bois ?

 

Alain Boulaire :

« Quemeneur était le fournisseur officiel du bois du Génie français, ça a été très bref : ils sont arrivés, les premières troupes, vraiment en novembre 17, et l’Armistice est un an après. Donc ça a duré un an. Ils n’avaient pas le temps de faire des appels d’offres concurrentiels, etc… Donc, à mon avis, ils ont fait confiance au fournisseur du Génie français, donc à Quemeneur. »

 

Avec les Américains, c’est une pluie de dollars qui tombe sur Brest, et qui fait de la capitale du Ponant un Eldorado pour deux ans. En 1919, les Américains repartent et laissent derrière eux des stocks considérables de matériels qui sont vendus à la France. Un très officiel « Secrétariat d’Etat aux stocks américains » est chargé alors de la revente aux particuliers.

 

Denis Seznec :

« Toutes les après-guerres, ça génère des trafics, sauf que les voitures, c’était la valeur, c’était la grande valeur qui arrivait sur le marché, et ces trafics ont généré beaucoup de margoulins, de gars qui achetaient et qui revendaient, et ceux qui achetaient en Bretagne notamment, parce que beaucoup de stocks étaient en Bretagne également, et jusqu’à Romorantin, qui n’est pas en Bretagne mais qui est à côté du Mans. De ces stocks-là, on les amenait à Paris, parce qu’à Paris, on pouvait pratiquement doubler le prix. »

 

Alain Boulaire :

« Oui. Il y a certainement eu des filières. Maintenant, comme tout trafic illicite, il est extrêmement dur de les remonter. Je crois que, en plus de ça, c’était pas la priorité à ce moment-là, donc il faut voir et fouiller dans les archives. C’est un sujet certainement extrêmement intéressant. Oui, certains Américains ont joué un rôle là-dedans, c’est-à-dire tout le monde a trafiqué parce qu’il y avait énormément d’argent à se faire. »

 

Deux fois par mois ces encarts publicitaires paraissaient dans la presse locale. Guillaume et Marie-Jeanne Seznec ont tenu une buanderie pendant la guerre et ont fait beaucoup d’argent en travaillant pour les armées françaises et américaines. Dès 1918, ils achètent une scierie à Morlaix et s’installent à « Traon-ar-Velin », dans une maison confortable. Seznec investit en outils industriels, et en bon commerçant, profite, comme tout le monde, des stocks américains. Pour faire tourner son usine, on le voit acheter un camion et une Cadillac.

Et Seznec cède au virus des affaires faciles. On le voit acheter et vendre des voitures comme le témoigne la facture au Garage Spor de Lambézellec.

 

Seznec va plus loin. Le document que vous allez voir est inédit. En janvier 1920, les gendarmes à cheval de Locronan découvrent une voiture américaine de luxe cachée dans une grange de Plomodiern. Chez un cousin de Seznec. Les gendarmes sont intrigués parce qu’on vient juste de voler 200 voitures aux stocks américains dans la région nantaise. Une enquête est diligentée. Seznec est interrogé par le commissaire de police de Morlaix. Il explique, dans sa déposition, qu’il a acheté deux voitures américaines, une Cadillac limousine et une Dodge Torpedo, près du parc américain, avenue de la Bourdonnais, à Paris. Il a pris livraison des voitures à Nantes. Il les a revendues à un garagiste de Marseille pour le marché algérien.

C’est la preuve que Seznec, dès 1919, est en contact avec les grands trafiquants d’automobiles américaines en France.

 

Denis Seznec :

"En fait, les stocks étaient ici, sous la Tour Eiffel, parce que il y avait une esplanade immense, qui est à peu près conservée d’ailleurs, et c’était entouré de barbelés et gardé par l’armée. Et elles avaient sur le côté une fleur de lys, dessinée, peinte, car le slogan des Américains à l’époque, c’était : « La Fayette, nous voilà ! » Sauf que, ils sont arrivés la plupart en 17, c’est d’ailleurs (pourquoi) la guerre de 14-18 s’est terminée, parce que les Américains sont arrivés, et la quasi-totalité des voitures, on peut penser que plus de 90 %, sont restées neuves, non utilisées."


Quant à Pierre Quemeneur, il s’est bâti un empire commercial dans le négoce de bois. Il est devenu un notable, un homme politique en vue, on le voit, ici, à droite sur cette photo. Depuis Landerneau, il exporte des poteaux de mines vers la Grande Bretagne, il commerce aussi avec l’Aquitaine.

Symbole de sa réussite : la maison de « Ker Abri » domine la ville. Célibataire fortuné, il y habite seul avec sa sœur Jenny.

Seule ombre au tableau, Quemeneur néglige, à la sortie de la guerre, de déclarer ses bénéfices de guerre. Le Fisc lui réclame :

- 13.000 francs pour 1918,

-   8.000 francs pour 1920.

Et certains pour faire croire à une fuite en Amérique, laisseront courir le bruit de sommes considérables dissimulées aux Impôts.

 

 

(à suivre...)

 

 

 

 

 

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