Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : Lamour et Traou Nez : une grande histoire

 

 

 

 

 

 

"Vraisemblablement, votre décès ne se produira pas

avant la fin de vos jours

et la date de votre inhumation concordera probablement

avec celle de vos obsèques."

Pierre Dac

 

 

 

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Cette plaidoirie, il faut l'avoir lue pour bien comprendre. Où on en est aujourd'hui. C'est l'acte fondateur. Tellement fondateur d'ailleurs qu'il nous faudrait carrérment un mai 68 au Trieux pour lui dépaver les mots.

 

Parce qu'aujourd'hui, Traou Nez reste LA scène du meurtre. Depuis 1932, de nombreux livres sont sortis. D'autres hypothèses ont été abordées. Des archives sont encore explorées. Mais que nenni : c'est Traou Nez ou rien.

 

On reste englués ad nauseam sur les rives du Trieux. 

 

Tellement englués que l'été un petit train amène ses hordes de touristes pour visiter le manoir. Au son de la musique bretonne avec crèpes et cidre compris dans le voyage. Le bonus : lire sur des panneaux une histoire que l'on dit être celle de l'affaire Seznec.... et oui, ici, c'est en quelque sorte le Lourdes de l'affaire Seznec.... Sauf que... Lourdes, il s'est vraiment passé quelque chose. Et que personne ne guérit jamais à Traou Nez.

 

Remarquez, c'est pourtant assez pratique, il faut bien le reconnaitre, d'un seul coup, d'un seul, on disculpe Guillaume en apportant Louis, le frangin du disparu, sur un plateau, en coupable idéal. Et une histoire de famille réglée en famille, une. A la suivante...

 

 

Avant de lire ce morceau de bravoure, rafraîchissez vous quand même les idées en cliquant sur :

 

Affaire Seznec : Et puis.. il y eut "Jaffré"...

 

et aussi

 

Affaire Seznec : Caïn vs Abel en Plourivo

 

 

Plaidoirie de Me Philippe Lamour

 

  1. 1.     Faits tendant à établir une scène de meurtre.

 

Et j’en arrive à Traou-Nez.

            Je ne vais pas parler longtemps des faits de Traou-Nez en Plourivo. Je pense que la justice aura à s’en occuper longuement et je n’ai aujourd’hui qu’une chose à faire, non pas d’établir minutieusement ces faits et d’empiéter sur le rôle d’un futur magistrat, mais montrer qu’avec ce que nous savions déjà, nous avions le droit de nous émouvoir, de révéler ces faits singuliers, de chercher et de faire appel à la justice.

 

            a). Deux coups de feu.

 

            Les faits, vous les connaissez. Une nuit, des marins de la gabare « Marie-Ernestine » qui vont chercher du sable de mer – tiens, le voilà le sable de mer – dans la rivière du Trieux, sont couchés sur le bateau amarré en face de Traou-Nez, propriété de Pierre Quémeneur, attendant le jour. Vers 2 heures du matin, ils entendent deux coups de revolver. Et ils voient trois personnes : deux hommes et une femme sur la grève. Un homme tombe. Il avait l’air d’avoir un objet à la main ; il se relève péniblement et s’enfuit. Quelques instants après, un autre coup de feu retentit derrière la maison, près du pont de chemin de fer qui traverse la propriété. Les marins ne tiennent pas à être mêlés à des histoires de coups de revolver. Ce sont des gens discrets par nature et, nous l’avons tous remarqué, les hommes du peuple n’aiment pas à être mêlés aux choses de la justice. Non point, certes, par méfiance à l’égard des magistrats ; je crois que cela tient à une raison beaucoup plus simple qui est que, depuis des années, on ne s’est pas décidé à s’apercevoir que le rôle de témoin est ruineux. Donc, ces marins qui entendent tirer des coups de feu, se disent : « Attention, ne bougeons pas, sans cela il faudra aller chez le juge d’instruction, puis aux Assises, ce pourquoi, outre l’ennui d’un voyage qui est pour eux toute une affaire, nous perdrons nos journées et toucherons en compensation le prix d’un billet de troisième classe et une indemnité dérisoire. Non, non, pas d’histoires, ne disons rien. » C’est le réflexe de beaucoup de gens, non seulement des marins mais des paysans qui n’aiment pas à être mêlés aux choses de la justice. Je me rappelle un client, brave homme inculpé d’un petit délit contraventionnel, auquel un président posait la question rituelle : « N’avez-vous jamais été condamné ? » et qui, tout ému, répondait, la main sur le coeur : « Je ne suis jamais venu en justice, même comme témoin. » Etre témoin lui paraissait déjà frôler de trop près quelque chose de déshonorant.

             Les marins ne veulent donc pas être témoins ; ils se taisent. Tout de même, un soir, dans un cabaret, ils parlent. C’est pendant que l’affaire Seznec passe aux Assises. Toute l’opinion est émue. Et Le Coz, leur armateur qui a peut-être plus qu’eux le sens de sa responsabilité de citoyen, se dit : « C’est grave », car tous opinent que ces coups de feu avaient bien pu marquer la scène du meurtre de Quémeneur. Le Coz fait son devoir d’honnête homme. Il prévient la gendarmerie et c’est ainsi qu’est rédigé le procès-verbal du brigadier Muller.

            Messieurs, les dépositions Muller ont été recueillies assez peu de temps après les faits ; elles reflètent une apparence évidente de vérité qui ne trompe pas. Au contraire, l’enquête faite par le brigadier Cunat, il y a deux ans, en 1931 (et sur ce point je suis, je crois, d’accord avec Me Alizon qui n’en a guère fait état, ce qui m’a permis d’apprécier toute sa mesure, Me Alizon plaide objectivement comme je le fais), cette nouvelle enquête révèle, de la part des marins, une mauvaise volonté tellement systématique à répondre et un aveu si public qu’ils en ont assez de cette affaire et qu’ils ne veulent pas aller en justice, que nous ne pouvons guère en faire état, du moins en ce qui les concerne. N’ont-ils pas été jusqu’à dire que les faits s’étaient passés au mois d’octobre, huit jours avant leur conversation au café ? Mais Le Coz a toujours dit : « Mais non, sans quoi je ne m’en serai pas ému, c’était pendant les débats de l’affaire Seznec que j’ai entendu ces confidences et il s’agissait bien du mois de mai. »

            Mais les marins ne voulaient plus rien dire en 1931.

            Certains même affirmaient : « Ce sont des blagues, nous avions raconté cela un soir que nous ne savions pas quoi faire. »

            Il est donc bien évident qu’il faut, pour l’instant, nous en tenir, en ce qui concerne la déposition des marins, au procès-verbal Muller.

            Vous trouverez à mon dossier les témoignages des marins et ce testament de Malpot qu’on vous a lu hier, qui est clair et précis. Sans doute, il n’est pas de la main de Malpot, mais il a été passé devant un notaire qui a traduit en langue claire mais fidèlement un témoignage fait à une heure particulièrement solennelle, à une heure où on ne ment pas.

 

            b). La nuit du 27 au 28.

 

            Ce qu’il importe d’ailleurs de discuter, ce ne sont pas les faits qui sont indéniables et indéniés, mais LA DATE. Est-ce dans la nuit du 27 au 28 mai qu’ont été tirés ces coups de feu ou, comme on l’a prétendu, dans la nuit du 24 au 25 mai, à la noce de la fille du garde, à une époque où Pierre Quémeneur était encore bien vivant, voilà la question.

            Les témoignages directs sur ce point sont imprécis. Mais ils s’appuient, comme nous allons le faire, sur des preuves formelles, matérielles, qui sont absolues et moins fragiles que la mémoire humaine.

 

  1. 1.     Les livres du port.

 

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Il faut tout d’abord savoir, Messieurs, que le Trieux est une sorte de fjord qui, deux fois par jour, ressent les effets de la marée. A deux kilomètres environ de Pontrieux qui en occupe le fond, existe une écluse, et c’est au-delà de cette écluse que les marins de la gabare « Marie-Ernestine » allaient chercher le sable, en bordure de la propriété de Traou-Nez. Entre l’écluse et Pontrieux, on ne donne l’eau que lorsqu’on le juge nécessaire pour la sortie des bateaux. C’est à dire qu’en période de mortes-eaux, on n’ouvre pas l’écluse et que les bateaux ne peuvent pratiquement pas quitter Pontrieux. A cet endroit, la rivière est envasée, et à marée basse on voit une espèce de creux triangulaire de vase qui est tel que la « Marie-Ernestine », voilier à l’époque sans moteur, ne pouvait sortir qu’avec de l’eau suffisante pour ne pas risquer d’aller s’envaser hors de la passe étroite. En effet, comme on va à la voile, il faut pouvoir tirer des bords, je crois que c’est l’expression qu’on emploie, et il faut par conséquent qu’il y ait suffisamment d’eau pour que ces bords puissent être tirés sans risquer l’envasement. Avec un bateau à moteur qu’on dirige avec exactitude, on pourrait peut-être passer en mortes-eaux, mais avec un bateau à voile, ce n’est pas possible. Ceci n’est pas contestable ni contesté. Donc en mortes-eaux pas de sorties. Et les sorties sont notées sur un livre spécial. Le brigadier Cunat a interrogé Lucas, le chef de port. Lucas prend les livres du port et il dit : La « Marie-Ernestine », d’après les livres de contrôle, est sortie le 1°, le 2, le 3, le 4, le 5, le 12, le 14, le 15, le 18, le 19, le 20 et le 21. Cela ne nous intéresse pas, mais elle est sortie le 22, le 25, le 28.

            Hier, on vous a dit : c’est dans la nuit du 24 au 25 que les coups de feu ont été tirés, pendant la noce de Mlle Guyomard, la fille du garde. Je regrette, Messieurs, mais si c’était dans la nuit du 24 au 25 que la gabare était dans le Trieux, elle serait portée sortante le 24, car le tableau des marées indique que le 23 la marée du soir est à 23 heures 15 et que le 24, elle est à 0 h. 00. Or, pour avoir un travail complet, la gabare « Marie-Ernestine » quittait toujours le port aussitôt que le niveau de l’eau le lui permettait, c’est à dire une heure et demie ou deux heures, selon les marées, avant la marée haute.

            La haute mer était à minuit ; c’est donc à 10 heures ou 10 heures ½, au plus tard 11 heures, que la gabare est sortie. Dès lors, c’est le 24 et non le 25 puisqu’il n’est pas minuit à sa sortie du port. Or, elle n’est pas portée sortante le 24. Le 24, la « Marie-Ernestine » n’est pas sortie. Tandis que le 28, la marée est à 3 heures 40 et l’eau est plus haute. On peut alors sortir de Pontrieux vers 1 heure ½, passer l’écluse et être vers 2 heures, 2 heures ¼ devant Traou-Nez. Et comme on est sorti après minuit, c’est au 28 que la sortie est portée.

            Pour que la gabare ait pu être le 25 devant Traou-Nez, il aurait fallu qu’elle sorte avant minuit à cause de la haute mer, et sortant avant minuit, elle est portée le 24. Tandis que pour être portée sortante le 28, il a fallu qu’elle sorte après minuit. Or, elle bien portée sortante le 28.

            Elle n’est pas sortie la nuit de la noce de la fille Guyomard. Et cette certitude indubitable, attestée par les documents, est confirmée par les témoignages : « Je n’ai pas vu, dit Guyomard, de gabare amarrée cette nuit-là dans le Trieux. » Par conséquent, tout concourt, dans cette fameuse nuit de la noce de Mlle Guyomard, pour établir que la gabare « Marie-Ernestine » n’est pas sortie, alors qu’elle est sortie dans la nuit du 27 au 28.

            En voulez-vous une preuve ?

 

  1. 2.      Le sable.

 

Le patron Le Coz, après avoir été chercher du sable, le décharge et le vend. Le 28, on trouve une quittance 47, de droit de péage. On n’en trouve pas pour le 24, c’est la preuve qu’il n’y a pas eu de chargement de sable le 24. C’est bien dans la nuit du 28, et la date est certaine, que la gabare « Marie-Ernestine » était amarrée devant Traou-Nez quand les coups de feu ont éclaté.

            Et alors, est-il vain de faire certains rapprochements ?

            La nuit du 25 au 26, Quémeneur prend le train pour Paris ; il se rend deux fois au bureau de poste ; il passe une partie de l’après-midi avec Mme Petit, le soir, vers 18 heures 30, Le Her le rencontre sur son tramway. Le lendemain peut-être, Me Danguy des Déserts le rencontre à la gare de Rennes. Puis, ce jour même, le dimanche 27 mai, un chauffeur de taxi de Guingamp l’amène à Traou-Nez.

            Et dans la même nuit, Messieurs...

 

  1. 3.      Pas de coup de feu à la noce du 24.

 

Le jour où les marins ont entendu les coups de feu, on dit : il y avait une noce. Non. Il faut regarder les dépositions de plus près ; les marins ont dit qu’il leur semblait qu’on faisait la noce et qu’on chantait. Il y a une nuance. Et Malpot, lui, déclare : « Il n’y avait qu’une lumière en bas et à droite. »

Ah ! Messieurs, j’en suis sûr, la noce de Mlle Guyomard n’a pas eu cette discrétion en cris et en lumière. Une noce bretonne... à 3 heures du matin... on devait être dans de sérieux états, car ici on sait encore faire les noces ; on n’a pas encore admis les méthodes du grand monde où les mariages ne se distinguent plus des funérailles que par la cravate blanche des habits.

            Cela devait faire du bruit, pensez donc, quarante personnes qui avaient célébré les épousailles de deux Bretons...

Et si une nuit de vraie noce on avait offert des cigarettes aux marins de la gabare « Marie-Ernestine », ceux-ci n’auraient pas hésité comme ils l’ont fait. Ils auraient pris le canot pour aller à terre et si possible prendre, en plus des cigarettes, prendre le petit verre de vin rouge qu’aucun marin n’a jamais refusé.

            Car, Messieurs, chose singulière, quelques instants après les coups de feu, les marins s’entendent appeler : « Venez chercher des cigarettes », leur crie-t-on. Pourquoi ? Parce qu’on s’aperçoit, après avoir tiré les coups de feu, qu’il y a dans le Trieux un bateau qui semble vide et mort et on se dit : « Qu’est-ce que c’est ? Y a-t-il quelqu’un à bord ? » On s’avance et on dit : « Venez prendre des cigarettes. » Les marins ne répondent pas. On est rassuré. La gabare est vide, on le croit du moins. Voilà pourquoi cette bizarre question.

 

 

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            Lorsqu’on parle de ces coups de feu, Louis Quémeneur commence à entrer dans des explications qui ont, j’ai le regret d’être obligé de le constater, le tort d’être diverses et contradictoires. Il dit tout d’abord : « On a tiré des coups de feu pendant la noce le soir. » Je viens de démontrer que ce n’était pas la nuit de la noce que se plaçaient les coups de feu entendus par les marins. Je démontre autre chose : qu’on n’a pas tiré des coups de feu le soir de la noce. Qu’est-ce qui le déclare ? Tout d’abord le marié et aussi la mariée – qui a peut-être encore plus de raisons que son mari de se souvenir de tout ce qui s’est passé le jour de sa noce – M. et Mme Hautcoeur.

            « Je n’ai pas entendu d’autres coups de feu que ceux signalés. », c’est à dire, vous allez le voir, deux coups de feu tirés en signe de réjouissance, à 10 heures du matin, au passage de la noce. Je ne lis pas toutes les dépositions. Mme Hautcoeur, née Guyomard, n’a rien entendu ; Malette, secrétaire de Mairie de Plourivo, dont le témoignage peut être retenu avec sécurité, Malette dit : « Que vers 10 heures, deux coups de feu ont été tirés en l’air en l’honneur des mariés. » Le garde Guyomard dit : « N’avoir pas entendu de coups de feu. »

Alors, comme cela ne marchait pas, Louis Quémeneur change de thèse. Il dit : « J’ai l’habitude de tirer des coups de feu pour m’amuser... J’ai tiré de ma fenêtre dans la porte de la grange. »

 

 

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            Si vous allez à Traou-Nez vous verrez, en effet, des traces de balles de revolver ; elles sont si bien tirées, si voyantes, qu’on est impressionné. Il y a même un trou où l’on retrouvé la balle. M. Hervé l’a prise à titre de souvenir. La balle était encore dans la porte. M. Louis Quémeneur a déclaré à « L’Ouest-Eclair », parce qu’il sait que pour informer les populations, « L’Ouest-Eclair » a toute l’expansion désirée, que ces traces étaient toutes naturelles dans une propriété inhabitée. « J’ai tiré de ma fenêtre, dans la porte de la grange, deux coups de feu pour m’amuser. »

            Quand on ira sur place, le magistrat qui instruira la nouvelle affaire Seznec aura peut-être la curiosité d’essayer de tirer des coups de revolver depuis la chambre de Louis Quémeneur dans la porte de la grange. S’il ne se rompt pas le cou, il aura de la chance. Pour arriver à tirer des coups de revolver dans la porte de la grange, il faut d’abord être tombé par la fenêtre, il n’y a pas moyen de faire autrement.

            Louis Quémeneur allait-il d’abord ouvrir la porte de la grange pour s’amuser ensuite à faire un carton ? Pourquoi ces explications qui ne tiennent pas debout alors que nul, que je sache, ne les lui demande ? Et puis, alors qu’on a parlé de deux coups de revolver, pourquoi va-t-il en tirer cinq ou six et dans toutes les portes qu’il rencontre ?

            Alors, tout de même, les explications – que je suis obligé d’appeler les explications de « L’Ouest-Eclair », parce que c’est ce journal qui reproduit les dires de Louis Quémeneur – sont contraires au bon sens, contraires aux déclarations précises du garde Guyomard qui a toujours dit : « Je n’ai jamais vu M. Louis Quémeneur tirer des coups de revolver. »

J’ajoute, troisième contradiction, qu’avant de tirer dans la porte, Louis Quémeneur a déclaré avoir tiré en l’air.

Louis Quémeneur est chez lui, je le veux bien, et chacun se livre aux distractions qui lui plaisent, à la campagne. Il en est qui aiment lire dans un fauteuil, d’autres qui s’amusent à tirer des coups de revolver. Je n’y vois pas d’inconvénient, mais au moins faudrait-il qu’il se mette d’accord avec lui-même pour nous dire comment il les tirait ces coups de revolver : est-ce en l’air, est-ce de sa fenêtre, est-ce dans la cour ? D’autant plus que personne ne lui demande rien et qu’il fait cette déclaration spontanément. Dès lors, pourquoi se contredire ? Et pourquoi être si ennuyé quand on parle de coups de revolver ? Quelle idée de se mettre à mitrailler toutes les portes de sa propriété avec une rage subite ? Je ne comprends pas. Et je puis dire que personne ne comprend ou n’ose comprendre. Il faudrait pourtant qu’un jour, dans cette affaire, on comprenne tout.

Voilà les faits de Plourivo.

 

Rapprochons maintenant ces faits de celui de la valise trouvée au Havre. Le 20 juin, cette valise portait des traces d’eau de mer. Voulez-vous réfléchir à ceci. Voici le Trieux, le Trieux dans lequel l’eau monte et baisse selon la marée. L’homme qui a reçu les coups de revolver a été vu tombant et peut-être en tombant a-t-il abandonné sa valise sur le bord du Trieux, sur une partie de la berge qui à ce moment n’était pas encore envahie par l’eau. La valise tombe. La marée monte, recouvre la valise doucement, lentement, en montant petit à petit. Nous sommes dans une rivière qui subit la marée, mais non pas la marée avec ses vagues. A marée basse, la mer redescend aussi lentement, sans déplacer les objets. Un niveau qui baisse horizontalement.

            L’homme qui s’était introduit dans la propriété de Traou-Nez appartenant à Pierre Quémeneur, l’homme que nous avons demandé qu’on cherche mais que nous n’avons pas désigné car ce n’est ni notre goût, ni notre rôle, s’aperçoit à marée basse que la valise est restée sur place. C’est une hypothèse, naturellement, destinée à tenter d’expliquer un fait que l’adversaire ne se donne même pas la peine d’expliquer. On trouve dans cette valise des traces d’eau de mer. Il y a de l’eau de mer dans le Trieux. On y trouve du sable de mer. Il y a du sable de mer dans le Trieux, et c’est si vrai que c’est là que les gabares viennent le chercher. Ai-je besoin d’ajouter un commentaire ?

 

c). Le pont de Lézardrieux.

 

 

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            Si vous ajoutez à ces faits que des ouvriers qui travaillaient près du pont de Lézardrieux, fin mai ou début de juin, ont vu des automobilistes jeter dans le Trieux une caisse, pas une caisse d’oranges, une caisse de 1 mètre 80 de long sur 1 mètre de large, caisse qui en tombant a fait une gerbe d’eau de plusieurs mètres, et que cette caisse paraissait si bien clouée qu’elle ne s’est pas rompue en touchant l’eau, comme son poids et les lois de la vitesse le commandaient, ne seriez-vous pas comme moi troublé, qu’à cette scène de meurtre corresponde, quelques jours après, une scène de disparition de cadavre ?

            Il y a, sous le pont de Lézardrieux, un gouffre bien connu, assez profond. Qu’est-ce que c’est encore que ces gens qui s’amusent à jeter des caisses de 1 mètre 80 dans le Trieux ? Il faudrait tout de même bien le savoir. Il faudra bien tout de même qu’on les entende ces trois témoins. On ne peut tout de même pas laisser passer avec indifférence des faits aussi singuliers et nous pouvons tout de même dire que nous trouvons étrange et surprenant qu’on ne soit pas plus curieux de savoir qui mitraille un homme à 2 heures du matin, sur les bords du Trieux, dans un lieu et pendant une certaine nuit qui coïncident étrangement avec la date et les lieux où les témoignages amènent Pierre Quémeneur après son voyage à Paris. Il est impossible qu’on ne s’inquiète pas de savoir qui s’amuse à jeter, à un moment où ils peuvent croire n’être pas vus et où ils ne seraient effectivement pas vus sans le hasard d’un travail sous le pont de Lézardrieux qui permet à trois ouvriers de surprendre la scène, une caisse qui a précisément les dimensions du corps d’un homme.

 

            Si ces faits n’ont rien à voir avec la disparition de Pierre Quémeneur, s’il s’agit d’autres faits et d’un autre crime, qu’au moins on le sache, qu’au moins on n’ait pas l’air de ne pas vouloir le savoir. Ou alors, il faut admettre qu’il y a dans les environs de Traou-Nez des gens qui ont des distractions singulières. Je croyais jusqu’ici que la Bretagne était un pays de moeurs simples. Je verrais précipiter du haut du pont de la Concorde une caisse de 1 mètre 80, je trouverais cela bizarre et, si l’agent de service ne s’inquiétait pas, je vous assure qu’il m’inquiéterait.

 

 

 

 

 

Non, je ne suis jamais allée à Traou Nez. Et je ne compte pas y polluer mon bel et libre esprit. Surtout que je serais capable de me faire fourguer un tee shirt ou un porte-clefs genre "Traou Nez Forever". Voire un petit manoir lumineux ou une mini bouteille avec du sable du Trieux. Juste pour ne pas contrarier.

 

Liliane Langellier

 

 

 

http://affaire.classee.free.fr/Seznec/Paimpol_pontrieux/Pub_Vapeur.jpg

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T
<br /> Merci pour ce récit si bien écrit !<br /> <br /> <br /> C'est un bonheur à lire !!<br />
Répondre
L
<br /> <br /> Et... le 5 octobre 1932, Me Philippe Lamour plaida pendant sept longues heures devant le Tribunal civil de Rennes....<br /> <br /> <br /> On peut télécharger l'entièreté de ce chef d'oeuvre ici : http://www.france-justice.org/?p=600 en bas de page.<br /> <br /> <br /> <br />