Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : la piste de Lormaye : la foire aux mots

 

 

 

 

 

 

 

"Lorsque les mots perdent leurs sens,

les gens perdent leur liberté."

Confucius

 

 

 

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  Chaque lettre a sa place dans la casse du typographe...

 

 

Certains courent les foires à tout. Moi, je leur préfère la foire aux mots. Les jolis mots. Comme les petits haricots sucrés et colorés de mon enfance. Ceux qui fondent en bouche. Et vous caressent l'âme. Ceux qui, l'espace d'un instant, vous laissent toucher l'arc-en-ciel.

 

Je vous en livre les définitions de quelques-uns. Ecrites par un grand amoureux des mots et du patrimoine. Ecrites par un homme qui a su consacrer dix ans de sa vie pour les réunir dans un seul ouvrage. Ecoutons-le avant de le lire :

 

"Ce dictionnaire encyclopédique, je l'ai conçu dans l'esprit des glaneurs d'antan qui aimaient partager le pain fait des épis ramassés. Dans ma quête, le geste réel, plutôt que l'exposé théorique, a toujours primé. Loin des traités pratiques et des catalogues techniques, des ouvrages pontifiants ou didactiques, il convenait que cette encyclopédie affective fût chaleureuse, abondamment illustrée, emplie de mots dont la saveur mettrait en appétit de lire. Puisse-t-elle être un recueil d'émotions retrouvées, un coffret de souvenirs qu'on ne referme qu'à regret."

Gérard Boutet

 

 

 

Meneur de bestiaux

 

Du verbe "mener", du latin "minare" : pousser devant soi. Du latin bestia : bêtes.

 

Convoyeurs de bestiaux sur de longs trajets, au service d'un maquignon. Les destinations courantes étaient un embarcadère ferroviaire, les abattoirs d'une ville, le champ de foire d'un comice fréquenté.

 

Métier de route, masculin. Autres appelations : le conducteur de bestiaux, le conduiseur, le toucheur.  Pour les moutons : le berger sur route. Patronymes évocateurs : Menant, Meneu(x). En revanche, Mesnard est d'origine germanique ; le nom s'appliquait à quelqu'un de robuste. Protecteur des bestiaux : saint Roch, vénéré également par les bergers, les bouviers, les gardeurs d'animaux et les laboureurs (cf Carrier). Priorité. Les véhicules hippomobiles étaient tenus de s'arrêter et de laisser le passage aux troupeaux que l'on déplaçait. Malgré cela, la traversée des villes n'allait jamais sans provoquer un sacré désordre dans la circulation !

Chemin faisant. Sitôt après la grande guerre, Narcisse Seigneuret s'adonna au commerce des bêtes dans le bourg de La Colombe, en petite Beauce. Il achetait, aux fermiers d'alentour, des animaux dont il tirait un joli bénéfice sur les foirails éloignés de son village. Il se rendait, à pied, jusque dans Le Berry, où il connaissait les meilleures foires aux bestiaux. Les animaux étaient revendus à des grossistes de Rambouillet, de Chartres, de Dreux, du Thymerais. Chaque semaine, il allait au grand marché de La Villette, sur les barrières de Paris. Les moutons se déplaçaient par leurs propres moyens, et c'est là qu'intervenait le berger sur route. Just (qui avait la trentaine et venait d'être démobilisé) conduisait les troupeaux de son père. Il menait deux cents, deux cent cinquante bêtes à chaque fois. Il effectua son convoiement le plus important pour le compte d'un Tibersard, de Gonesse, en Seine-et-Oise : quatre cent quatre-vingts moutons à embarquer dans huit wagons en gare de Châteaudun. Un voyage pouvait durer trois jours. Entre le vendeur et l'acheteur, il était toujours convenu que la distance serait répartie par moitié à la charge des intéréssés. Le berger de l'un rencontrait le berger de l'autre en un point défini à l'avance à mi-parcours [...] Le berger logeait et se restaurait à l'hôtel, lors de ces déplacements. Durant la nuit, il enfermait ses moutons dans les écuries (ou il les parquait dans une pâture). Les livraisons ne pouvaient s'accomplir qu'en-dehors des jours de marché, afin de n'être point gêné par les chevaux de la clientèle. On connaissait les bons gîtes, on y était fidèle (d'après Aux beaux jours d'hier, 1995).


En Normandie, durant la belle saison, un meneur de bestiaux conduisait une dizaine de vaches sur la route, à raison de vingt kilomètres par jour. Deux chiens l'escortaient. Il se levait avant l'aube, il se couchait après le crépuscule. Quand l'itinéraire passait par une ville importante, il ne perdait pas son temps à lécher les vitrines : plus vite le convoi traversait l'agglomération, mieux ça valait, et tant pis pour les bouses qui ponctuaient le boulevard. Plusieurs hommes étaient nécessaires lorsque le troupeau dépassait les quinze bêtes sur un long trajet. Le Chemin aux Boeufs désignait une voie médiévale qui longeait la Loire, sur la rive droite, de Nantes à Paris. La chaussée, large et pavée par endroits, devenait ici le "Chemin César", plus loin le "Grand Chemin". La légende affirmait qu'entre autres personnages illustres, Jeanne d'Arc et Louis XIV en avaient foulé les pierres. Le parcours était jalonné de mares afin que les troupeaux qui le suivaient puissent s'abreuver et parvenir en bon état jusqu'aux massacriers de la capitale. On prétendait que ce Chemin aux Boeufs ne traversait aucune localité importante, et, de la sorte, qu'il ne causait pas la moindre nuisance aux populations dont ils franchissaient le pays.

 

 

Lire aussi et surtout en cliquant ici : Affaire Seznec : la piste de Lormaye : définition du maquignon d'après Gérard Boutet

 

 

 

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Charretier

 

[...] A vos rangs ! En fonction des exigences de ses terres, une grosse ferme employait de trois à quatre charretiers, à qui elle attribuait des grades quasi militaires. Au sommet de la hiérarchie commandait le maître charretier, qu'on nommait parfois "le capitaine". Il bénéficiait de l'entière confiance du patron ; quand ce dernier s'absentait , il veillait à la bonne marche de la ferme. On lui obéissait au doigt et à l'oeil. C'était encore lui, le maître charretier, qui se rendait au marché pour y négocier la vente du grain, à la louée pour y engager les saisonniers. En charrue, il menait de rude poigne une attelée de quatre chevaux (in Ils étaient de leur village, 1979) Il  va de soi que le maître charretier, qualité oblige ! se réservait les chevaux les plus puissants et les plus fringants.


Du matin au soir. En été, la journée commençait à trois heures et demie. Louis (charretier en Beauce) jetait aussitôt la botte de foins aux chevaux, puis il les étrillait et les bouchonnait à la brosse en chiendent. Un ancien proverbe assurait qu'un bon pansage engraissait autant qu'un picotin d'avoine. De même, certains prétendaient qu'il valait mieux faire boire les chevaux avant de les avoiner pour leur épargner les coliques. L'habitude voulait que ce soit le premier charretier qui distribue les rations d'avoine, cela dès son arrivée, juste après avoir secoué le vacher qui peinait à se tirer du lit. On ne songeait à la gamelle des domestiques qu'une fois les mangeoires des bêtes dûment garnies, jamais l'inverse. Les charretiers déjeunaient à quatre heures ; le bricolin mangeait ensuite, avec la bonne. A cinq heures moins le quart on partait aux champs, d'où l'on ne revenait que sur le coup de onze heures. Il fallait parfois attendre le jour sur un chaintre (bout de champ) pour y voir clair ! On se levait un peu plus tard en mauvaise saison, vers quatre heures et demie, en même temps que la bonne qui préparait le déjeuner et l'alo (le garçon de cour) qui curait les vaches. Les charretiers avalaient leur écuellée de soupe puis s'allongeaient pendant une vingtaine de minutes dans l'écurie. Le départ pour la plaine s'effectuait à sept heures moins le quart. De retour à la ferme pour le midi, les charretiers soignaient leurs attelées et les conduisaient à l'abreuvoir de la cour avant de leur donner l'avoine. Puis ils dinaient à leur tour et refilaient en labour d'une heure et demie à huit heures et demie du soir. Rentrés à la nuit noire, ils pansaient encore leurs chevaux, veillaient à ce qu'ils n'attrapent point froid, remplissaient leur râtelier d'une bonne fourchettée de paille dont le suprlus servirait à la litière du lendemain. Une poignée de carottes blanches récompensait les limoniers dociles. Enfin les charretiers s'attablaient pour le souper et, sitôt leur assiette torchée, se dépêchaient de gagner leur plumard, plus chargés de fatigue que d'écus (d'après Nos racines retrouvées, 1986)

 

 

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A la table des fermes beauceronnes, la domesticité ne mangeait correctement que deux fois dans l'année : à carnaval, pour le terme d'hiver, et en fin de moisson, pour le terme d'été.En été, un charretier n'avait droit qu'à un "squet" à chaque repas, soit le tiers d'un litre de vin plus ou moins mouillé ; mais l'hiver, sa ration était réduite de moitié. Pendant la moisson, il recevait au goûter un second litre de "boisson". L'essentiel de la nourriture se composait de cochon salé, suiffeux et souvent rance, qu'on nommait le "tremblant" par dérision. Les porcs étaient engraissés sur place ; chaque mois, on en tuait deux ou trois. Le chaudron ne connaissait pas le boeuf. Il y avait une fricassée de lapin une fois par semaine et - par obligation religieuse - du hareng frais le vendredi, un pour deux ou trois personnes avec des oeufs ou des haricots. Les autres midis de la semaine,  c'était la potée au cochon et aux légumes. Selon la saison, la garniture potagère se composait d'un ragoût de rutabagas, de fayots frais ou secs, de lentilles, de patates, de choux, de carottes, de navets, de poireaux. Pendant le carême, le personnel se dégraissait les intestins en ne mangeant que des pois. Le menu du soir ne variait jamais d'une saison à l'autre : rata de pommes de terre et cochon froid. Au moment de s'attabler, chacun recevait sa ration de vin pour le repas ; il s'agissait d'une timbale en fer-blanc, le "canon". Dans les maisons où l'on servait les boissons à la chopine, un seul verre se trouvait sur la table ; chacun attendait son tour pour boire. En certaines fermes, les assiettes faisaient défaut : on piochait à la fourchette dans le plat ! Les domestiques ne disposaient que d'une heure pour avaler le fricot du midi et souffler un peu, sauf pendant les moissons où la coutume leur accordait le double de temps. Le maître charretier trônait à un bout de la table : il représentait l'autorité du patron, lequel se sustentait dans une pièce à part, en compagnie de la patronne. Le berger se tenait en face, à l'autre extrêmité. Sur les côtés se plaçaient les ouvriers de moindre rang. Seul le maître charretier avait le droit de parler pendant le repas. Pour réclamer quelque chose, il sonnait la bonne en frappant du couteau sur sa timbale. Il se servait le premier, copieusement. Personne ne commençait à manger tant qu'il n'avait pas déplié son couteau ; de même, tout le monde devait se lever de table dès qu'il l'avait refermé. Parfois le vacher, retardé au dehors par quelque méchante besogne, n'approchait de son assiette que pour entendre le claquement fatidique : le gamin n'avait plus qu'à se serrer la ceinture jusqu'au repas suivant. 

 

 

Ils ont vécu ainsi chez les Quemin. Que ce soit Pierre Patrice, Namur le charretier, ou le gars Vergnon, sans compter la bonne Yvonne. La vie était rude. Et il était important de le rappeler.

 

L'occasion vient de m'en être donnée par la réédition de l'encyclopédie "La France en héritage" de Gérard Boutet (à paraître le 8 novembre prochain aux éditions Omnibus). Encyclopédie d'où sont extraites toutes ces définitions.

 

Pour ne pas oublier nos amis bretons, et parce que j'ai utilisé ce mot plusieurs fois dans mes articles, j'ajoute donc la définition de :

 

Ankou

 

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Mot breton définissant l'angoisse.

 

Dans la mythologie populaire de Bretagne, individu qui usait de pouvoirs occultes et maléfiques.


Inavouable pratique exercée en secret. Le mot renvoyait également à l'angoisse qui étreignait les Bretons quand ils entendaient cahoter le chariot de l'Au-Delà - Karic an Ankou - autour des villages plongés dans les ténèbres. C'était la Mort qui ramassait les âmes méchantes pour les précipiter dans les tourbières de Yeun Elez. En ces sombres marais de Brennilis, dans les monts d'Arrée, s'ouvraient les portes de l'Enfer.


L'équipage ressemble assez, assurent ceux qui l'ont vu, à nos petites charrettes de cultivateurs ; il est recouvert d'un linceul blanc, attelé de deux chevaux blancs et conduit par la Mort en personne, tenant en main sa grande faux, qui brille au clair de lune, et même dans l'obscurité. L'essieu grince et crie toujours, comme celui d'une charrette qu'on ne graisse pont. Il passe souvent, invisible, par les chemins ; d'autres fois aussi, on le voit, mais toujours on entend crier l'essieu (in Légendes chrétiennes de la Basse-Bretagne par F.-M. Luzel, Maisonneuve et Leclerc éditeurs, Paris, 1887). A Plévenon, près de Fréhel, on assurait que l'attelage se composait de douze cochons. Ce corbillard fantastique devenait parfois la "Charrette Moulinoire" ou la "Grande Cherrée". Il ne s'engageait jamais dans un champs que le curé avait béni.

 

 

Souvenez-vous, Jeanne Seznec nous dit l'avoir entendu ce chariot la veille de la mort de François Le Her.

 

 

Liliane Langellier

 


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