Affaire Seznec : la piste de Lormaye et les réseaux sociaux

  "Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu hais"

Francis Blanche

"Les réseaux sociaux", en ce mois d'août perturbé sur tous les plans, sont accusés du pire. Internet, Facebook, Twitter, et autres... dirigeraient non seulement nos vies mais aussi les vies présentes et futures des Etats.

A l'époque de la piste de Lormaye, les réseaux existaient déjà. Ils pouvaient être familiaux, régionaux, professionnels, politiques, philosophiques, religieux, corporatistes, etc... Les acteurs principaux de notre pièce de théâtre lormaisienne appartenaient aussi à des réseaux. Commençons par le plus discret d'entre eux. La presse de l'époque n'en a pipé mot : Charles Doucet.

Son nom n'est cité par la presse que lors de sa plainte en justice contre Quemin Fils.

Et pourtant son rôle est capital, dans cette piste. Alors, qui était donc Charles Doucet ?

Charles Paulin Doucet est né le 22 juin 1880. A Péronville, arrondissement de Châteaudun. D'un père chaudronnier. Il épouse Clémence Mesnil le 16 août 1906. Clémence est née en 1880 (jour et mois à préciser) à Octeville dans le département de la Manche.

Lormaye - Liste de recensement 1931

Charles Doucet est un homme important à Lormaye. C'est le témoignage d'une Nogentaise de 87 ans, Raymonde, qui m'a fait réagir : "Quand nous étions enfants, nous étions fascinées, ma soeur et moi, par la plaque d'émail avec une cigogne qui ornait la maison de Doucet. Il travaillait pour les potasses d'Alsace."

Il est courtier. Nous l'avons lu dans le compte-rendu de son procès vs Quemin qu'il était "représentant de commerce" ou "courtier". La potasse était un engrais important pour les agriculteurs. Charles Doucet avait un carnet d'adresses professionnel important car il appartenait donc à la MDPA (Mines de Potasse D'Alsace)

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En plus de cela, c'était un communiste acharné. Pas discret du tout. Et même assez agressif. Raymonde me confie encore : "Doucet s'était mis dans la tête que l'on ne devait plus dire la Saint Jean à Lormaye, mais la Jean" Relations politiques au Parti, sans aucuns doutes.

Je profite de ce passage sur ses opinions politiques pour conter deux anecdotes sur Charles Doucet. L'une est drôle. L'autre est triste. Allons-y pour la drôle : un certain "Lonlon", qui était en fait Monsieur Larue de Nogent-le-Roi, habitant rue porte chartraine (et oui...) et possédant le café épicerie qui a été repris par les Duguet, possédait aussi quelques biques qu'il avait pour coutume de faire paître sur l'herbe de la Place du Pilori à Lormaye. Cela déplaisait fort à Charles Doucet. Au moment d'une campagne électorale, un journal reprit le mot d'humour suivant : "Savez-vous pourquoi Lonlon amène ses biques sur la Place du Pilori, c'est parce qu'il y a le bouc à Doucet !"

La triste maintenant : quand Clémence est morte, Charles s'est allongé à côté d'elle et s'est tué. Ils sont morts le même jour. Et sur le marbre de leur tombe on peut lire, tout en bas : "Nous deux".

Parlons de son épouse Clémence, justement. Elle est d'abord institutrice, puis directrice de l'école de Lormaye. Ce qui donne accès à Charles au monde de l'enseignement. La ligue de l'enseignement a été très active pour la défense de Guillaume Seznec. Sa nièce et sa petite nièce (Madeleine Femeau-Mesnil) sont aussi institutrices. Institutrices et instituteurs se retrouvent au moins une fois l'an par année de promotion de l'Ecole Normale. Lire sur ce blog : Affaire Seznec : la piste de Lormaye : la première interview

Est-il utile de rappeler ici le rôle primordial de l'instituteur en campagne ? Plus particulièrement sous la Troisième République.

Il est également Président du Syndicat Agricole : respect dans les campagnes.

Et enfin, il est Président (régional ?) de la L.D.H. Ligue des Droits de l'Homme. Beau palmarès, non ?

 

Autant dire que son réseau Facebook à lui compte plus de 1.000 amis.Utopiste, romantique et surtout autoritaire, sacré personnage, notre Charles Doucet, pour un petit village comme Lormaye.

Autant dire qu'il est le personnage lormaisien le plus important en 1928. Et que c'est sans doute chez lui qu'a habité notre autre ami Charles Huzo, homme de gauche, pendant son séjour à la campagne.

Charles Huzo, lui, à part être un piètre journaliste et un écrivain peu connu, appartient à la Franc-Maçonnerie. Comme Emile Petitcolas. Comme Maurice Viollette. Comme Madame Bosser. Comme le Juge Hervé, etc...

Maurice Viollette, encore la L.D.H. mais surtout L'Action Républicaine. Voir sur ce blog : Maurice Viollette : biographie

La Franc-Maçonnerie est un autre réseau social d'importance. Avec, par le biais des Loges, des ramifications dans la France entière.

Restent aussi les hommes de loi : Me Kahn, certes, mais j'ai bien lu que l'on disait Maître Petitcolas. Donc, en plus de son réseau de journalistes, de la L.D.H., de la F.M., Petitcolas avait fait ses études de droit (?). Ce qui expliquerait ses contacts étroits avec le défenseur de son beau-frère Maître Kahn.

Charles Doucet et Emile Petitcolas ont en commun un point d'importance : ce sont les personnages les plus discrets de l'affaire Seznec. Ce qui ne signifie pas qu'ils furent les moins actifs.

Liliane Langellier