Affaire Seznec : La piste de Lormaye

Pierre Quémeneur a-t-il été assassiné par Guillaume Seznec à Lormaye ?

Affaire Seznec : Radar : "La vérité, la voici..." par Guillaume Seznec

Affaire Seznec : Radar : "La vérité, la voici..." par Guillaume Seznec

C'est toujours dans "le fonds Chassé". Si cet homme que je respecte avait trouvé quelque intérêt à cet article qu'il avait soigneusement classé dans son dossier, je pense en trouver également.

"Une confession attendue depuis 30 ans

La vérité, la voici...

par Guillaume Seznec

"Radar", avec l'esprit d'objectivité qui le caractérise, commence à partir de cette semaine, la publication de larges extraits des "Mémoires" de Guillaume Seznec. L'ancien bagnard qui, par l'entremise de Me Raymond Hubert, sollicite la révision de son procès, a consigné au crayon sur des cahiers d'écolier ce que fut son existence avant, pendant et après la terrible affaire Quémeneur qui devait avoir de si tragiques conséquences pour lui et pour les siens. Il en était parvenu, dans son récit, à son retour de la Guyane, quand une camionnette le renversa sur un passage clouté à l'angle de l'avenue des Gobelins et du boulevard Saint-Marcel et l'envoya dans un pitoyable état à l'hôpital de la Pitié... Cet accident a ramené sur le vieillard et sur son cas l'attention générale.

Les "Mémoires" de Guillaume viennent donc à leur heure et c'est pourquoi "Radar" a tenu à s'en assurer l'exclusivité.

Depuis trente ans, on a beaucoup écrit sur "l'affaire Seznec". Pour ou contre. Mais c'est la première fois que cette histoire criminelle est contée par celui qui l'a vécue. Dans ses "Mémoires", Seznec nous livre sa personnalité. Il nous donne également "sa" vérité. Désormais, c'est à la Justice qu'il appartient de l'authentifier ou de la réfuter.

Ceci est le résumé de ma vie.

J'avais 4 ans quand je perdis mon père. Sur son lit de mort, celui-ci déclara à ma mère que son seul regret était de mourir avant de m'avoir vu chanter ma première messe, car il avait demandé à Dieu la grâce de me voir devenir prêtre.

Nous restions quatre enfants : trois filles et un garçon. Ma soeur aînée s'appelait Marie. Elle devait tomber malade à l'âge de 12 ans. Elle avait six ans de plus que moi. Ma soeur cadette, Anne-Marie, était de 3 ans plus jeune. J'étais le troisième. Après moi venait Marguerite qui avait trois ans de moins. Elle mourut peu de temps après mon père.

J'avais eu également un petit frère qui était mort à l'âge d'un an On l'avait baptisé à l'église sous le nom de Joseph, et inscrit à la mairie sous celui de Hervé.

Je suis mort à l'âge de 7 ans

Le secrétaire de mairie faisait souvent de ces erreurs. C'est comme pour moi : 6 ans auparavant quand j'étais venu au monde, il m'avait inscrit sur le registre de l'état civil sous le nom de... Joseph tandis que le recteur de la paroisse me baptisait sous celui de Guillaume (nom que portaient mon père et mon parrain).

Mais il y a plus fort en fait d'erreur. Quand mon petit frère mourut, le secrétaire écrivit la mention "décédé" en face du nom de Joseph, qui était le nom de baptême de mon frère et mon nom officiel à moi, par suite de l'erreur du fonctionnaire de la mairie. Si bien que c'est mon propre décès que ce dernier mentionna.

Tout cet embrouillamini ne fut découvert que plus tard, quand j'eus l'âge d'être soldat. Etonné de n'avoir pas été appelé à tirer au sort, je me présentai de moi-même en faisant remarquer que j'étais né en 1878.

- Le fils Seznec qui est né en 1878, le 1er mai, dit le secrétaire qu'on interrogeait, est mort. Le seul garçon qui reste a encore 6 ans à attendre avant d'être soldat, et il s'appelle Hervé.

Il a donc fallu rectifier mon état civil. Mais on n'a pu corriger qu'une seule erreur : celle du décès. Et j'ai dû prendre le nom de Joseph, puisque celui de Guillaume n'existait pas au regard de la loi.

A 10 ans, je deviens maître d'école

Ma mère m'envoya à l'école communale quand j'eus 9 ans. L'école se trouvait à 4 km de la maison et la route qui y conduisait était épouvantable. L'hiver, il y avait tant de boue qu'elle était transformée en une véritable mare. Il fallait passer par-dessus les talus et marcher à travers champs. Ce n'était qu'à partir de Pâques qu'on pouvait l'utiliser.

Dès que je sus lire et écrire, le maître me donna une baguette pour montrer sur des pancartes les lettres à ceux qui ne connaissaient pas l'alphabet.

Je tins l'emploi de maître d'école suppléant pendant un an, mais à la fin, je me plaignais à ma mère de ce que cela m'empêchait d'étudier moi-même puisque, du matin au soir, je passais mon temps à apprendre à lire aux autres.

Un jour, maman se présenta à l'improviste à l'école et entra dans la classe. Elle constata que je lui avais dit la vérité : j'étais entouré d'une douzaine de gosses à qui je faisais épeler les lettres marquées sur les pancartes. Ma mère alla se plaindre au directeur. Celui-ci donna l'ordre de me remettre à ma place.

Mais, malgré tout, je ne fis guère de progrès : nous avions un instituteur trop jeune qui ne pouvait s'occuper de tous ses élèves, nous étions trop nombreux.

C'est pourquoi, après les grandes vacances, ma mère se décida à m'envoyer avec mon cousin, au collège de Pont-Croix. Mon cousin avait déjà étudié le latin avec les vicaires de la paroisse. Moi, je savais tout juste lire et écrire. Mes camarades avaient tous leur certificat d'études. J'étais donc en retard d'une année sur eux, et malgré tous mes efforts, je n'arrivais pas à les rattraper. Je suppliai ma mère de me retirer du collège, mais elle refusait, voulant respecter les dernières volontés de mon père et me pousser vers le séminaire.

Ce n'est qu'à la mort de ma soeur Marie (elle mourut pendant que j'étais en vacances, à Pâques) qu'elle consentit à me garder à la maison.

(A sa sortir du collège, Guillaume Seznec s'occupe d'un moulin et d'une ferme appartenant à sa mère. Puis c'est le service militaire : un an, à Quimper. En 1904, Mme Seznec partage ses propriétés entre les trois enfants qui lui restent. Guillaume obtient pour sa part deux terres dont le fermage lui rapporte respectivement 600 et 800 fr. par an.)

C'est en 1906 que j'ai épousé la fille d'un commerçant de Plomodiern. Ma soeur avait fait tout ce qu'elle avait pu pour empêcher ce mariage, car ma fiancée n'était pas riche. Mais je jure que celle-ci était une brave et gentille personne. D'ailleurs, elle l'a bien prouvé plus tard, quand le malheur s'est abattu sur nous.

Nous avons eu six enfants. Les deux aînés sont morts en bas âge. J'ai élevé les quatre autres. Marie, qui est devenue religieuse, est morte en 1930. Les autres, Guillaume, Jeanne et Albert sont encore en vie.

Je tenais un magasin de cycles à Plomodiern, avec mes beaux-parents Marc.

C'est pendant que j'accomplissais ma dernière période de 28 jours que ma femme a accouché de ma fille Marie. J'étais en garnison à Pontanozen, près de Brest. Un télégramme m'avait averti que la délivrance était proche. Il était 5 heures du soir quand je le reçus. Je posai immédiatement une permission de 24 heures. Mais quand j'arrivai à la gare, le dernier train pour Châteaulin (qui démarrait à 5 h 30) était parti. Heureusement, j'avais une bonne bicyclette. Je sautai dessus et fis d'une seule traite les 100 km, qui me séparaient de la maison. Quand j'arrivai, Marie était née...

(Le lendemain, Guillaume Seznec devait être victime d'un terrible accident, dont il porte encore les stigmates sur son visage. Voici le récit qu'il en fait.)

Je manque d'être brûlé vif

Ce soir-là, je rentrai assez tard, vers 11 h. environ. Après avoir pris l'apéritif chez mon beau-père, je montai auprès de ma femme et me mis à éplucher des châtaignes. Tout à coup, ma femme se dressa sur son lit en me disant : "Tu ne sens pas ?... ça sent le roussi !" Presque aussitôt, dehors, on se mit à crier "au feu !". C'était un magasin de fourrage qui flambait. Les flammes passaient par-dessus le toit de la maison.

Je descendis pour prêter la main. On fit sortir les bêtes de l'étable. Il fallut tirer des vaches par la queue pour les obliger à quitter les lieux de l'incendie.

Le maire, Maître Le Doaré, vint alors me trouver : "il faut déménager le magasin de bicyclettes, me dit-il, le feu a déjà attaqué la toiture !" Je courus à la maison pour y prendre la clé. Au moment où j'ouvrais la porte de la boutique, il se produisit une violente explosion qui me renversa. Environné de flammes, je me mis à courir autour de la place. Des voisins me jetèrent à terre et des femmes enlevèrent leurs robes pour éteindre les flammes. Nous étions trois blessés : Guille Rognant, qui avait plusieurs côtes d'enfoncées et des éclats de vitre plein les jambes ; l'autre, je ne me rappelle pas au juste ce qu'il avait mais Guille Rognant est mort. Moi, j'ai été atrocement brûlé.

Mon beau-père a été presque ruiné dans le coup, car il n'avait pas fait modifier sa police d'assurance quand il avait remplacé les vieux bâtiments (qu'il avait fait assurer) par des constructions neuves.

Comme j'étais assuré contre les accidents, la compagnie a été condamnée à me verser 30.000 francs sous réserve que je cesserais d'exercer le métier de mécanicien...

(Guillaume Seznec s'associe alors avec les époux Sturman pour l'exploitation d'une blanchisserie à Brest. Mais il apprend que ses associés ont été mis en faillite à Paris. Il doit entamer un procès pour faire annuler le contrat. La guerre de 1914 éclate. Handicapé par ses brûlures, Seznec est mobilisé à Brest. Pour la blanchisserie, que dirige sa femme, c'est une période de prospérité...)

En plus du lycée, j'eus alors à blanchir le linge de 11 régiments et de 17 hôpitaux. En 1916, quand les Américains ont débarqué, ils m'ont demandé de travailler pour eux. Quand je leur ai montré à quel tarif je travaillais pour l'armée française, ils ont bien ri et m'ont payé cinq fois plus que celle-ci...

(Voilà l'explication des dollars dont il sera question lors de l'affaire Quémeneur. Entre temps, le régiment de Seznec s'est retiré à Morlaix. Seznec achète dans cette ville les bâtiments d'une ancienne scierie pour en faire une succursale de sa blanchisserie de Brest. Plus tard, il rendra à ces locaux leur affectation d'origine.)

A la fin de la guerre,, mon beau-frère Marc m'a demandé de lui céder la blanchisserie de Brest. Ce que j'acceptai pour la somme de 50.000 francs, représentant le matériel, plus une certaine somme que je lui avais avancée. Il signa des traites. Celles-ci ne furent jamais honorées.

Il conserva la blanchisserie durant deux ans, puis la revendit par la suite aux nommés Genoux et Balzon. Ceux-ci gérèrent l'affaire durant 3 ou 4 mois, jusqu'au jour où les bâtiments furent détruits par un incendie.

Je me souviens que Genoux a été inquiété à l'époque, car il ne pouvait pas fournir d'alibi pour la nuit où le feu avait éclaté. A la police, qui soupçonnait un incendie volontaire, il avait déclaré avoir passé la nuit, seul en mer, à bord d'un canot.

Moi, j'étais à Morlaix ce jour-là. Ce n'est que 48 heures plus tard que j'ai appris le sinistre. D'ailleurs, ni la Justice ni la police ne m'en ont entretenu alors. (...)"

Je ne sais pas vous, mais moi... je suis plutôt surprise par certains détails de cet étrange récit. Envolée, la belle lavandière qui détourne Guillaume de ses chères études à Pont-Croix ? Passé sous silence Théodore Picard, l'amoureux transi ? Et à la trappe la fortune de "Peps", le beau-père ?

Mais je suis surtout surprise que Denis Seznec ne nous ait jamais parlé de ces "Mémoires" publiées par "Radar".

Enfin bref, à mon avis, nous ne sommes pas encore au bout de nos surprises...

Et c'est peut-être "ça" qui fait le charme de l'affaire Seznec : tout détricoter, récupérer la laine, et, en faire un pull neuf ? Mais de la bonne taille, cette fois.

Liliane Langellier

P.S. On me glisse dans l'oreillette gauche que Me Denis Langlois a parlé de "Radar" et des "Mémoires" de Guillaume Seznec sur son blog.

Voilà effectivement ce qu'il en écrit :

En décembre 1953, l’hebdomadaire "Radar" commence la publication des Mémoires de Seznec que celui-ci a rédigé sur deux cahiers, sous le titre "La vérité, la voilà". Cependant, le récit ne contient aucune révélation. Une grande partie du texte raconte la vie de Seznec au bagne et parle des protections dont il a bénéficié. "De tout temps pendant mon séjour au bagne j’ai toujours obtenu des places de choix. Les personnes qui me voulaient du mal n’ont jamais réussi à me faire avoir un jour de punition malgré que j’aie passé deux fois le Conseil pour tentative d’évasion et deux fois acquitté, car je vous avoue que j’ai fait aux Iles deux canots pour m’évader, j’ai échoué toutes les fois."

ATTENTION : Ces cahiers ont bien été écrits par Guillaume Seznec AVANT son accident. Et vendus en exclusivité à "Radar" - concurrent de "Paris Match" - pendant qu'il était à l'hôpital. Aucun jugement. Les Le Her / Seznec n'étaient pas bien riches. Et la presse toujours prête à sortir son portefeuille pour publier du sensationnel...

Me Denis Langlois évoque longuement ce douloureux épisode, dans son livre, des pages 388 à 395 :

"- M. Seznec, a dit le plus grand en tendant la main, je suis le directeur de l'hebdomadaire Radar, le concurrent de Paris Match. Nous venons de nous assurer l'exclusivité de vos Mémoires.

Tu as reconnu dans les mains de l'autre les deux cahiers d'écolier où, au crayon, tu écrivais tes souvenirs.

- Mais vous me les avez volés ! Je les avais cachés, c'était uniquement pour moi.

Les deux hommes ont baissé la tête et Jeanne t'a serré très fort la main."

Reproduction de la première page des "Mémoires" de Guillaume Seznec (in blog de Me Langlois)

Reproduction de la première page des "Mémoires" de Guillaume Seznec (in blog de Me Langlois)

Radar. 20 décembre 1953.

Radar. 20 décembre 1953.

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